«Général Li? Nous n’allons pas vous attaquer!»
– Général Li?
– J’écoute.
– C’est le général Milley. Vous et moi nous connaissons depuis cinq ans maintenant.
– Que voulez-vous dire?
– Si nous devions attaquer, je vous appellerais pour vous en avertir. Il n’y aura pas de surprise.
–…
– Nous sommes à 100% constants. Tout va bien. Mais vous savez, la démocratie peut parfois être exubérante.
Ce dialogue fictif entre les deux chefs des armées états-uniennes et chinoise s’inspirent des propos attribués au général Mark Milley par Bob Woodward et Robert Costa dans un livre à paraître ces prochains jours, intitulé «Péril». Les deux journalistes du Washington Post expliquent comment le chef de l’armée la plus puissante du monde a jugé nécessaire d’avertir à deux reprises son homologue chinois que les Etats-Unis n’avaient aucune intention d’attaquer son pays. Pourquoi le faire? Car, selon le renseignement américain, Pékin prenait très au sérieux la possibilité d’hostilités déclenchées par Donald Trump pour se maintenir à la Maison-Blanche. Le premier appel date du 30 octobre 2020, quatre jours avant l’élection présidentielle, le second du 8 janvier 2021, deux jours après la prise d’assaut du Capitole. Face à un président américain devenu totalement imprévisible, la Chine pouvait légitimement craindre d’être prise pour cible. Et le chef des armées américaines, court-circuitant la chaîne de commandement remontant au président, a cru indispensable de couper court à tout malentendu en appelant directement le général Li Zuocheng.
Absurde? Ni aux Etats-Unis ni en Chine il n’y a eu de démenti sur ces échanges. Quant au risque d’une guerre non voulue, sur la base de fausses interprétations des intentions de l’adversaire, c’est l’un des grands classiques des catastrophes de l’histoire humaine. Rappelons qu’en 1983, de l’aveu même de Mikhaïl Gorbatchev, un conflit nucléaire avait été évité de justesse alors que l’URSS pensait réellement que les EtatsUnis étaient sur le point de frapper son territoire. C’était à l’occasion d’exercices militaires américains dans un contexte de tension grandissante sous l’effet de la rhétorique de Ronald Reagan. La Chine de 2020, cible privilégiée des saillies belliqueuses de Donald Trump dans un contexte électoral pour le moins confus, pouvait elle aussi sérieusement s’inquiéter alors que des exercices de l’armée américaine avaient précisément lieu dans son voisinage.
La révélation, cette semaine, de ces coups de fil a provoqué un débat aux Etats-Unis sur la notion de trahison. Est-ce que Milley a trahi le président en appelant Li Zuocheng? Ou est-ce Donald Trump qui a trahi le peuple américain en attaquant les institutions démocratiques? Déjà pris au piège du président américain à l’été 2020, alors que ce dernier l’avait instrumentalisé pour parader à ses côtés lorsqu’il défiait des manifestants contre le racisme devant la Maison-Blanche, Mark Milley avait publiquement déclaré que la loyauté de l’armée allait à la Constitution. Si le président ne respecte pas la Constitution, l’armée n’a plus à répondre au «Commander in chief». C’est ainsi que le général américain, ce même 8 janvier 2021, s’est assuré, auprès des plus hauts responsables militaires, que l’arme nucléaire ne pouvait se déclencher sans son accord personnel.
Il semble plausible que Donald Trump ait envisagé un coup d’Etat il y a un an
Comment en est-on arrivé là? Il semble plausible que Donald Trump ait envisagé un coup d’Etat il y a un an pour court-circuiter le processus électoral qui l’annonçait perdant. «Nous sommes en route pour un coup d’extrême droite», aurait déclaré la directrice de la CIA, Gina Haspel, à Mark Milley, toujours selon les journalistes du Post. Si Donald Trump a échoué, c’est qu’il n’a trouvé ni le relais nécessaire dans l’armée, ni le soutien suffisant dans son propre staff et qu’il s’est finalement révélé incapable de mener à bien une telle opération. «N’est pas Lénine qui veut», comme nous l’a affirmé cette semaine une source américaine. Le coup d’Etat ayant échoué, la diversion guerrière était un scénario à prendre très au sérieux.
Si l’on admet cette thèse, étayée par de nombreux faits, il faut alors bien reconnaître le péril dans lequel se trouve en effet la première démocratie du monde. Donald Trump est toujours en embuscade, et ses soutiens prêts à passer à l’action. La seule bonne nouvelle dans ces révélations est qu’un canal de discussion entre la Chine et les Etats-Unis existe bel et bien au plus haut niveau des instances militaires. Et qu’il a jusqu’ici fonctionné pour éviter le pire.
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