Le Kremlin orchestre un plébiscite pour Vladimir Poutine
Le vote pour élire les députés du parlement russe a démarré vendredi et se poursuivra jusqu’à dimanche dans une atmosphère de contrôle total
La journée de vendredi a démarré par un succès pour le Kremlin: les sociétés américaines Google et Apple, cédant aux pressions du pouvoir, ont retiré de leur magasin en ligne l’application «Navalny», du nom de l’opposant emprisonné. Cette application diffuse des consignes de «vote malin» pour les candidats les mieux placés afin de battre ceux de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Le même jour, de Vladivostok à Saint-Pétersbourg, les bureaux de vote ont ouvert pour un scrutin étalé sur trois jours.
La veille, Vladimir Poutine avait exhorté les Russes à voter lors des élections législatives au terme d’une campagne plutôt terne de la part des candidats du pouvoir, et émaillée surtout par les efforts administratifs et répressifs contre l’opposition russe. Malgré des sondages indiquant une forte érosion depuis le précédent scrutin en 2016, Russie unie devrait conserver une très large majorité à la Douma d’Etat, la chambre basse du parlement. Le parti contrôle actuellement trois quarts des 450 sièges.
Crainte d’une faible participation
Du fait de la répression de l’opposition et des faibles enjeux de l’élection pour la population, les autorités craignent aujourd’hui qu’une participation trop faible ne nuise à la légitimité du pouvoir. Mais pour le Kremlin, les enjeux restent élevés. Le futur parlement sera en place en 2024 à l’expiration du mandat actuel de Poutine. Après vingt-quatre années passées au pouvoir, le président russe devra une nouvelle fois alors décider s’il se représente, ou choisir une autre stratégie afin de conserver son emprise.
Dans cette optique, les élections sont une énième «opération plébiscite», selon l’expression de la politologue Marie Mendras. Vladimir
Poutine se doit de démontrer une domination écrasante sur le système politique russe, qui apparaît comme un quasi-monopole.
Parmi les quatorze partis autorisés à présenter des candidats, seuls trois partis (dont Russie unie) devraient dépasser la barre des 5% nécessaire pour obtenir un siège. Or, les deux autres partis (communistes du KPRF et nationalistes du LDPR) se cantonnent à une opposition de façade et votent souvent à l’unanimité les lois proposées par le Kremlin.
Le directeur du Centre for Democratic Integrity, Anton Shekhovtstov, voit comme principal enjeu de ce scrutin la capacité du pouvoir à neutraliser la tactique du «Vote malin», poussée par Alexeï Navalny et ses partisans. Pour cet expert, il faut éviter à tout prix qu’une initiative venue d’en bas ne puisse introduire un élément aléatoire dans un scrutin électoral contrôlé de A à Z.
Tatiana Stanovaya, directrice du cabinet de conseil politique R.Politik, estime à l’inverse que les cerveaux de l’administration présidentielle voient dans le «Vote malin un moindre mal. De leur point de vue, c’est mieux de laisser jouer [l’opposition] que de la voir prendre le Kremlin d’assaut.»
«Jeu pipé»
L’objectif primordial du président, estiment la plupart des observateurs, est de démontrer qu’il ne peut y avoir d’alternative à sa personne. En 2020, Vladimir Poutine avait fait modifier la Constitution russe pour prolonger son règne jusqu’en 2036. Chaque élection est ainsi une occasion de convaincre la population, mais aussi l’élite et la communauté internationale, qu’une écrasante majorité des Russes le soutient toujours.
En l’absence de contrôle indépendant sur le processus électoral, qui plus est se déroulant désormais en partie à travers la «boîte noire» du vote électronique, l’issue du scrutin ne prête à aucun suspense. Le 20 septembre, la Commission électorale centrale annoncera des résultats quasi unanimes en faveur de Russie unie.
Pour Marie Mendras, «les quelque 110 millions d’inscrits sur les listes désigneront les députés de la Douma d’Etat, ainsi que les députés des assemblées législatives des républiques et régions, selon un jeu pipé, puisque la capacité de manipuler le processus, de faire pression sur les électeurs et de frauder les résultats est considérable. La notion même de représentation populaire au sein d’instances élues a vécu.»
■
«Les quelque 110 millions d’inscrits sur les listes désigneront les députés selon un jeu pipé» MARIE MENDRAS, POLITOLOGUE