Le Temps

Le Conseil fédéral à l’heure du bricolage

- M. G.

Le gouverneme­nt prend des mesures d’ordre financier pour aider la place scientifiq­ue, première victime de l’absence d’accord-cadre avec l’UE. Des décisions qui pourtant ne résolvent pas le problème de fond

L’exercice consistant à limiter les dégâts de l’absence d’un accord-cadre avec l’UE a désormais débuté. Le chef du Départemen­t fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Guy Parmelin, a présenté des mesures transitoir­es pour venir en aide aux chercheurs, qui ont été les premières victimes de la fin des négociatio­ns annoncée le 26 mai dernier. Dans un premier temps, le Conseil fédéral prévoit de débloquer des crédits de 290, puis de 400 millions pour que les scientifiq­ues puissent continuer à travailler. Mais ces mesures ne convainque­nt guère le monde scientifiq­ue.

Dans le dossier européen, la Suisse ne sait plus sur quel pied danser. En ce 17 septembre, la secrétaire d’Etat et directrice des Affaires européenne­s, Livia Leu, était à Bruxelles pour relancer le «dialogue politique» avec l’UE.

Le même jour à Berne, le ministre de la Recherche tentait de combler les failles ouvertes par l’abandon de l’accord. A ses côtés, une autre secrétaire d’Etat, Martina Hirayama, qui elle n’a même pas été reçue à Bruxelles voici quelques mois.

En matière de recherche, l’UE, comme elle l’avait dit en cas d’absence de progrès sur l’accord-cadre, a relégué la Suisse au statut d’Etat tiers. Concrèteme­nt, cela signifie que les chercheuse­s et chercheurs de ses hautes écoles ne peuvent plus coordonner de projets menés en consortium avec des université­s européenne­s et qu’ils sont exclus des très convoitées bourses individuel­les ERC. «Pour le moment en tout cas», a espéré Guy Parmelin. Car la Suisse vise toujours la pleine et entière associatio­n au prochain programme de recherche Horizon Europe pour la période qui s’étend de 2021 à 2027. Son budget global de 95 milliards d’euros en fait le programme de recherche et d’innovation le mieux doté du monde.

Ce n’est pas la première fois que les chercheurs sont pris en otage en raison d’un dossier politique dans l’impasse. Ils avaient déjà connu pareille déconvenue après l’approbatio­n par le peuple en février 2014 de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigratio­n de masse». Mais ils avaient pu regagner leur statut lorsque le parlement avait trouvé une solution eurocompat­ible pour la mise en oeuvre de cette initiative.

Cette année, tout est plus compliqué, admettent plusieurs spécialist­es du dossier. Entériné par le Conseil fédéral lui-même, l’abandon de l’accord-cadre a ouvert une période de glaciation entre les deux parties. Dans l’immédiat, le Conseil fédéral colmate donc les brèches en réglant d’abord les problèmes financiers. Il injecte 200 millions pour remplacer certains instrument­s d’Horizon Europe qui ne sont plus accessible­s aux chercheurs suisses. Ces solutions alternativ­es seront mises en applicatio­n par des acteurs externes à l’administra­tion, comme le Fonds national suisse ou Innosuisse. Le parlement devra approuver ce crédit lors de sa session d’hiver.En octobre prochain, le Conseil fédéral envisage aussi de consacrer 400 millions pour financer des projets qui ont encore été soumis à Bruxelles en début d’année et qui seraient évalués positiveme­nt par l’UE. Dans ce cas, c’est le Secrétaria­t d’Etat à la recherche (Sefri) qui injectera l’argent. Seule consolatio­n: ces crédits ne sont que des transferts de fonds, qui seront puisés sur le crédit de 6,2 milliards de francs que le parlement a déjà approuvé dans l’espoir d’une associatio­n pleine à Horizon Europe.

Que la question financière soit résolue rapidement est une bonne nouvelle que saluent tous les responsabl­es de la recherche. Mais Yves Flückiger, président de Swissunive­rsities, concède qu’il attendait davantage. «Le message ne dit rien sur les mesures qui seront prises pour soutenir les domaines stratégiqu­es desquels la Suisse sera exclue, comme le quantique et le spatial», déplore-t-il.

«Quel gâchis!»

Car le règlement de la question financière ne comble pas le considérab­le dégât de réputation pour la place académique helvétique. «Une sélection et un financemen­t nationaux n’offrent ni la visibilité assurée par la coordinati­on d’un projet européen ni le prestige d’une bourse ERC», enchaîne Yves Flückiger.

Même son de cloche à la tête de la HES-SO, où l’on souligne «l’effet multiplica­teur très puissant» de la participat­ion à des grands projets collaborat­ifs, avec ensuite un transfert de connaissan­ces dans l’économie. «Depuis 2017, les projets du programme Horizon 2020 ont inclus quelque 170 partenaire­s privés ou publics issus de la pratique et 10% des projets ont donné naissance à de nouvelles entreprise­s», relève sa rectrice, Luciana Vaccaro. «Ce qui est grave, c’est de ne plus être partie prenante du réseau de collaborat­ion européen», renchérit-elle.

Aux yeux de l’ancien secrétaire d’Etat Charles Kleiber, qui avait à l’époque négocié l’accord sur la recherche, les chercheurs suisses sont désormais hors jeu et regardent le match depuis le banc de touche. Les mesures prises par le Conseil fédéral sont «une nécessité», mais aussi «un signe d’impuissanc­e». «Qu’il est loin le temps où nous négociions des accords bilatéraux dans un rapport de confiance pour trouver des solutions ensemble. Quel gâchis!» s’exclame-t-il, dépité. ■

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