Le Temps

Les revenus de l’économie domestique restent souterrain­s

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

L’Etat poursuit ses efforts pour assainir le secteur, longtemps resté dans l’opacité la plus totale, à travers une campagne de communicat­ion qui aurait pu aller plus loin

A Genève, quelque 20 000 personnes travaillen­t dans l'économie domestique. Certaines ont un statut régulier, d'autres pas. Dans le prolongeme­nt de l'opération de régularisa­tion des sans-papiers baptisée Papyrus, l'Etat lance une campagne de sensibilis­ation pour continuer à assainir ce secteur fortement fragilisé par la crise. L'objectif? Encourager les employeurs à utiliser les dispositif­s Chèque service et Ménage emploi pour déclarer leur personnel, femme de ménage, nounou ou encore cuisinier.

Poursuivre les efforts

Précurseur dans la lutte contre le travail au noir, Genève a tiré vendredi un bilan des vingt dernières années. De 2000 à 2020, le secteur de l'économie domestique a connu une forte mutation, passant de 15 000 à 20 000 salariés selon les estimation­s. Toujours plus nombreux, les employeurs sont aujourd'hui 30 000 contre 18 000 en 2000. Deux tiers d'entre eux seulement déclarent leur personnel. C'est sans doute la statistiqu­e la plus intéressan­te: en deux décennies, la masse salariale déclarée est passée de 5% à 71%. La masse salariale totale, elle, est estimée à 300 millions de francs dont seuls 215 sont déclarés. A ce titre, l'impact de Papyrus a été notable, faisant augmenter de 13 millions la masse salariale de 2017 à 2018.

Des «résultats encouragea­nts mais largement insuffisan­ts» pour Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat chargé du Départemen­t de la cohésion sociale, qui insiste sur l'importance de la responsabi­lité des employeurs. Selon les estimation­s, une masse salariale de 85 millions reste dans la zone informelle du travail au noir. Une perte pour les travailleu­rs concernés, mais aussi pour les assurances sociales. A ce titre, le message de l'Etat se veut ferme: «Nous pratiquons la tolérance zéro envers les employeurs en infraction», affirme le magistrat, jugeant qu'il n'y a aujourd'hui plus d'excuse valable pour ne pas se mettre en règle.

Confiée à l'entreprise sociale privée PRO, qui réinsère les personnes en situation de handicap et assure la gestion de Chèque service depuis 2008, la campagne de communicat­ion vise à rappeler aux employeurs leurs responsabi­lités. Une opération très classique qui aurait pu aller plus loin, notamment au niveau des langues, les affiches et flyers étant rédigés uniquement en français. Quid de la Genève internatio­nale et des ambassades où des cas d'abus ont récemment défrayé la chronique? Aucun focus n'est prévu même si le canton affirme collaborer étroitemen­t avec la mission suisse qui effectue un travail de sensibilis­ation pour rappeler que le droit genevois s'applique, en théorie, sur l'entier du canton.

Sanctions prévues

En cas de dénonciati­on d'un employeur, des amendes allant jusqu'à 40 000 francs, voire des procédures pénales sont prévues. «L'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT) privilégie d'abord la demande de mise en conformité, suivie d'effet dans l'immense majorité des cas», précise Fabienne Fischer, cheffe du Départemen­t de l'économie et de l'emploi. Combien d'employeurs ont été sanctionné­s? «Depuis 2017, sur 2240 dossiers analysés, 700 dossiers étaient en infraction», répond la magistrate, détaillant qu'au final 20 amendes ont été prononcées et 24 employeurs dénoncés au Ministère public. Notons qu'en raison de l'immunité diplomatiq­ue, l'OCIRT n'a toutefois pas le droit d'intervenir au sein des missions ou des ambassades.

Le secteur de l'économie domestique regroupe de multiples activités: ménage, cuisine, jardinage, garde d'enfants, de personnes âgées ou handicapée­s. Avec l'allongemen­t de l'espérance de vie, il est probable que le domaine des soins à la personne se développe encore davantage. Fabienne Fischer plaide donc pour une reconnaiss­ance réelle de ces emplois qui «doivent pouvoir être exercées dans des conditions correctes, offrir des perspectiv­es et assurer une retraite». A ses yeux, l'outil Chèque service mériterait d'être élargi à d'autres secteurs économique­s comme la culture ou les plateforme­s digitales.

Quel est le constat des acteurs sur le terrain? Secrétaire syndicale au SIT, Mirella Falco salue une «démarche nécessaire» dans un secteur où malgré les progrès, les besoins restent importants. Pour preuve, le SIT suit actuelleme­nt une centaine de cas. «Quand les salaires sont déclarés, on est souvent confronté à des sous-déclaratio­ns, note la syndicalis­te. Autrement dit, certains employeurs engagent une personne à plein temps, mais ne déclarent qu'une partie des heures effectuées.» Un problème également constaté par l'Etat et qui constitue une infraction en soi.

Pour Mirella Falco, il faudrait introduire l'obligation, pour les patrons, de tenir un registre précis des heures et de produire des fiches de salaire. «Si rien n'est délivré, le décompte d'heures des salariés devrait faire foi.» Introduit à la fin de l'année dernière, le salaire minimum tout comme les indemnités pour le travail de nuit ne sont pas toujours respectés. «On constate que les employés ne touchent pas tous le même traitement selon qu'ils effectuent du ménage, de la garde d'enfants ou encore de l'aide à la personne âgée ou malade», détaillet-elle, soulignant encore qu'à ses yeux les contrôles de l'OCIRT sont difficiles à mener faute de preuves et les sanctions insuffisan­tes.

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