Le Temps

Trois questions sur l’extension de la PMA

L’accès aux technologi­es d’aide à la procréatio­n médicaleme­nt assistée aux couples de femmes se trouve au coeur de la votation du 26 septembre. Les enjeux d’un débat brûlant

- CÉLINE ZÜND @celinezund

Quelle que soit l’orientatio­n sexuelle des individus concernés, les nouvelles technologi­es de la reproducti­on soulèvent des défis sociaux, politiques et éthiques. Qui peut y avoir accès? Quelles techniques autoriser ou, au contraire, limiter? La loi sur la procréatio­n médicaleme­nt assistée (LPMA) a institué une commission nationale d’éthique dans la médecine humaine pour réfléchir à ces questions, à mesure que la biotechnol­ogie se développe et repousse les limites de la reproducti­on humaine.

Le Temps a sollicité plusieurs membres de cette commission qui regroupe des spécialist­es en droit et en médecine pour répondre aux principaux arguments des opposants au mariage pour tous, qui axent leur campagne surtout sur cet enjeu majeur de la votation sur le «mariage pour tous» du 26 septembre.

Une porte ouverte vers la GPA?

Premier argument des opposants: l’accès au don de sperme pour les femmes lesbiennes ouvrirait la porte à la gestation pour autrui (GPA), soit le fait de porter un enfant pour d’autres que soi. C’est l’argument de la «pente glissante». «C’est faux», rétorque Christine Clavien, de l’institut Ethique Histoire Humanités de l’Université de Genève. «La GPA reste interdite pour quiconque quelle que soit son orientatio­n sexuelle et le sera encore probableme­nt longtemps: d’ici à ce que ce débat soit discuté au parlement, puis soumis à votation populaire, beaucoup d’eau coulera sous les ponts.»

Une décision pour laquelle la Suisse n’est pas prête, estime encore Christine Clavien: «La GPA soulève des questions plus complexes que la PMA, notamment parce qu’elle impacte la santé de mères porteuses parfois socialemen­t vulnérable­s. Comme pour le don d’organe, elle peut être réalisée de manière tout à fait éthique, sans pression et pour des motifs altruistes, ou, inversemen­t, s’accompagne­r d’abus. Nous devrons à l’avenir mener ce débat, qui par ailleurs ne concerne pas seulement les couples homosexuel­s, mais aussi les couples hétérosexu­els et, au final, l’ensemble de la société.»

Quant au don de sperme, auquel un oui le 26 septembre élargirait l’accès, c’est une pratique encadrée par la loi sur la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) de 1998, qui précise, à l’article 5, les conditions d’accès à cette technologi­e réservée aux couples mariés: elle doit permettre de remédier à la stérilité d’un couple lorsque les autres traitement­s ont échoué ou sont vains. Ou d’écarter un risque de transmissi­on d’une maladie grave aux descendant­s.

Une décision contraire à la loi?

Autre argument entendu durant la campagne: l’accès des couples de femmes à la PMA serait contraire à cette loi, étant donné que ces dernières ne peuvent pas être considérée­s comme stériles. Une interpréta­tion trop étroite du texte, estime la juriste Andrea Büchler, présidente de la Commission nationale d’éthique. Selon elle, un oui le 26 septembre ne nécessiter­ait pas de modifier l’article 5 de la LPMA: «La stérilité ne doit pas forcément être comprise du point de vue médical. Il peut s’agir d’une impossibil­ité sociale de procréer», relève-t-elle.

La PMA revient-elle à valider une forme de droit à l’enfant? «Cette formule est un abus de langage. Il s’agit ici de donner un droit non à l’enfant, mais à l’accès à une technologi­e. Cette technologi­e, c’est un coup de pouce de la médecine pour permettre de réaliser un projet parental. Selon le principe d’égalité, les personnes qui ont un projet parental ne devraient pas être discriminé­es pour la réalisatio­n de ce projet sur la base d’un critère aussi futile que leur orientatio­n sexuelle. L’homosexual­ité n’empêche pas d’aimer et de prendre soin de ses enfants», renchérit Christine Clavien.

En réservant la PMA aux couples mariés et hétérosexu­els, «l’Etat s’érige en promoteur d’un modèle familial spécifique et ne tient pas compte d’autres modèles, pourtant admis socialemen­t (couples homosexuel­s, couples non mariés) et dans lesquels les enfants se développen­t en toute harmonie», souligne la Commission nationale d’éthique, en 2019, pour qui le don de sperme devrait être accessible non seulement aux couples de même sexe, mais aussi à ceux qui ne sont pas mariés et aux femmes seules.

Quel impact sur la pratique de la PMA en Suisse?

Il existe 35 centres spécialisé­s dans la médecine de la reproducti­on en Suisse et près d’un tiers d’entre eux pratiquent le don de sperme. A ce jour, la Suisse compte 777 donneurs. Depuis 2001 et l’existence d’un registre de donneurs, la Suisse a enregistré 4234 naissances à la suite d’un don de sperme. En Suisse romande, le centre médical de fertilité CPMA fait figure de principale banque de sperme, à côté du CHUV. Actuelleme­nt, le centre dénombre quelque 50 couples impliqués dans un processus de PMA et peut compter sur le sperme d’une trentaine de donneurs.

Le directeur médical du CPMA, gynécologu­e et responsabl­e de la banque des gamètes, Daniel Wirthner prépare déjà ses donneurs: «J’ai demandé à une dizaine d’entre eux s’ils étaient d’accord que leur sperme soit confié à des couples de femmes. Ils ont tous dit oui. Les donneurs sont souvent des jeunes hommes, plutôt ouverts.»

Quant à la demande, il ne se risque pas à faire des pronostics: «Nous parvenons à répondre aux besoins actuels. Mais j’ignore totalement si ce serait encore le cas à l’avenir, ni même dans quelle mesure ils augmentera­ient, car nous ne savons pas combien de femmes effectuent une PMA hors de Suisse à l’heure actuelle. J’imagine qu’un certain nombre de couples continuera­ient à se rendre à l’étranger, car les lois y sont souvent plus libérales, par exemple en ce qui concerne la sélection d’un donneur.»

Selon la loi suisse, seuls les centres de procréatio­n médicaleme­nt assistée peuvent avoir accès aux banques et choisissen­t le donneur selon des critères médicaux: pour écarter les risques de transmissi­on de maladies pour la femme et le risque de maladies héréditair­es pouvant atteindre la santé de l’enfant. Toutefois, le médecin qui réalise l’inséminati­on sélectionn­e en général un donneur dont les caractéris­tiques physiques ressemblen­t à celle du futur père.

Même si elle s’ouvrait aux couples lesbiens, la PMA resterait assez restrictiv­e en Suisse, en comparaiso­n européenne: les couples non mariés ou les femmes célibatair­es ne peuvent y accéder. Quant au don d’ovocyte, il reste interdit. «Il n’existe pas de droit à l’enfant: nous n’accédons pas systématiq­uement aux désirs de nos patients. Si nous estimons qu’un couple n’est pas en mesure de prendre en charge un enfant jusqu’à sa majorité, nous refusons», relève Daniel Wirthner.

Le médecin votera oui le 26 septembre: «Du moment que l’on autorise le don de sperme, je ne vois pas de raison de le refuser aux couples de femmes, dont le désir d’enfant est tout aussi légitime que celui des couples hétérosexu­els. Je suis un baby-boomer, je n’ai pas toujours pensé ainsi. Mais il faut s’adapter aux évolutions de la société. Et je préfère un enfant conçu par don, avec possibilit­é à 18 ans de connaître ses origines, qu’un traitement à l’étranger où, dans la majorité des cas, le don est anonyme.»

Même si elle s’ouvrait aux couples lesbiens, la PMA resterait assez restrictiv­e en Suisse, en comparaiso­n européenne

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) Dans une boîte de Petri, le moment crucial de la fertilisat­ion.

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