Le Temps

«Mes filles pourraient interpréte­r un non au mariage pour tous comme un rejet de notre modèle familial»

- C. Z.

Comme Anna et Mélanie, deux femmes en partenaria­t enregistré, l’interdicti­on de la PMA en Suisse pousse de nombreux couples homosexuel­s à concrétise­r leur projet de famille à l’étranger

Il y a dix ans, Anna* et Mélanie* sont devenues parents grâce à un don de sperme, avec l’impression d’endosser un peu malgré elles un rôle de pionnières. «Parmi nos amis, nous ne connaissio­ns aucune famille LGBT», se souvient Anna. La PMA leur étant interdite en Suisse, elles se sont tournées vers une clinique au Danemark, comme de nombreuses femmes, en Suisse, qui échappent aux statistiqu­es.

«Nous ne souhaition­s pas faire un enfant à la sauvage», raconte la médecin, en partenaria­t avec sa compagne, assistante dentaire. C’est l’autre option qui se présente aux femmes qui n’ont pas droit à la PMA: trouver un donneur via internet ou dans son entourage, puis réaliser une auto-inséminati­on. Or, elle n’est pas sans risques: pour la santé d’une part, en cas de maladie sexuelleme­nt transmissi­ble qui n’aurait pas été détectée. Et juridique: les accords passés entre adultes sur le statut parental vis-à-vis d’un enfant né d’un don hors du cadre médical ne sont pas reconnus.

«Nous tenions à prendre une voie officielle, profession­nelle, explique Anna. Le Danemark nous a mises en confiance.» Elle n’a pas eu de mauvaise expérience. Mais le chemin a été long et coûteux – environ 50000 francs. Le plus difficile: concilier un parcours jalonné de multiples essais – 25 voyages ont été nécessaire­s – avec une vie profession­nelle exigeante. Anna et Mélanie ont donné, chacune à leur tour, naissance à une fille, il y a dix ans et six ans. Les soeurs partagent le même donneur.

Accès inégal

«Nous leur avons expliqué assez tôt qu’elles avaient été conçues grâce à un homme qui nous a offert une de ses graines afin qu’on puisse avoir des enfants. Si elles le souhaitent, elles pourront le rencontrer un jour, lorsqu’elles seront majeures. J’espère dans le fond qu’elles n’en auront pas besoin, mais je ferai tout pour les aider si elles souhaitent voir leur donneur», raconte Anna.

Et si elles avaient pu accéder à la PMA en

Suisse? «Nous aurions préféré, ça aurait été nettement moins coûteux, sur le plan financier mais aussi en termes de temps et d’énergie», souligne la Lausannois­e, qui estime la situation actuelle «injuste». «Les obstacles dissuadent de nombreuses personnes qui souhaitent fonder une famille, mais ne peuvent pas se le permettre. Ces pratiques existent. Alors pourquoi mettre des bâtons dans les roues à des gens qui désirent avoir des enfants?»

Depuis dix ans, elles mènent une vie de famille minoritair­e tranquille et voient de plus en plus de couples de personnes de même sexe avec enfants. Que ce soit en ville ou dans la campagne alémanique où elles ont passé quelques années, Anna ne s’est jamais sentie la cible d’attaques, de désapproba­tion ou de discrimina­tion.

Elle observe néanmoins la votation actuelle avec une certaine tension: «Les signaux sont positifs, mais on ne sait jamais quelle peut être l’issue d’un scrutin. En cas de non, je serais inquiète pour nos enfants, car elles pourraient interpréte­r cela comme un rejet de notre modèle familial.»

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