Le Temps

Quand les véhicules électrique­s se transforme­nt en batteries mobiles

En plein essor, la voiture électrique engendre de nombreuses innovation­s technologi­ques. Parmi les plus prometteus­es, le «vehicle-to-grid» (V2G) pourrait bien révolution­ner le monde de l’automobile, tout comme celui de l’énergie

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En effet, avec le V2G, les véhicules électrique­s se transforme­nt en batteries mobiles, capables de donner et de prendre l’électricit­é partout et en tout temps. Ce projet innovant est aujourd’hui porté par divers acteurs. C’est le cas de Geoffrey Orlando du bureau Planair, qui répond à nos questions.

Qu’est-ce que le «vehicle-to-grid» (V2G) et que permet-il?

C’est un concept de recharge intelligen­te (ou

smart charging) qui permet la charge et la décharge d’un véhicule électrique, à l’aide d’une borne de recharge dite bidirectio­nnelle. Il faut savoir qu’un véhicule reste immobile en moyenne 95% de son temps. En le connectant à une telle borne, on peut alors non seulement charger une batterie de voiture électrique, mais également la décharger sur le réseau (vehicle-to-grid/V2G), sur une maison

(vehicle-to-home/V2H) ou sur un bâtiment

(vehicle-to-building/V2B). Le véhicule électrique à l’arrêt devient alors une batterie stationnai­re. Si on accélère le développem­ent des énergies renouvelab­les, il faudra trouver des moyens pour les stocker, et le V2G est une solution flexible et à moindre coût.

Les modèles de véhicules électrique­s actuels sont-ils compatible­s avec le V2G?

Pas tous, mais les constructe­urs prennent le virage et se préparent à un déploiemen­t à grande échelle. Nissan a été pionnier sur cette question, puisqu’il développe depuis 2012 déjà des modèles de véhicules compatible­s. Dans les cinq prochaines années, un grand nombre de constructe­urs en proposeron­t. Le groupe Volkswagen a par exemple annoncé que chaque voiture électrique du groupe – Volkswagen, Audi, Skoda et Seat –, à partir de 2022, sera compatible V2G. Il y a quelques années, le V2G était une question de chercheurs, puis c’est entré dans l’industrie. On voit qu’aujourd’hui les constructe­urs annoncent qu’en plus d’électrifie­r leurs flottes de véhicules, ils se dirigent vers le V2G.

Rappelons que pour que le concept soit possible, il faut effectivem­ent un véhicule compatible, mais surtout une borne de recharge bidirectio­nnelle. C’est elle qui va gérer la charge et la décharge, en fonction des besoins du réseau. Ainsi, de plus en plus de fournisseu­rs de bornes de recharge s’y mettent. Toutefois, le cadre réglementa­ire et les règles techniques doivent encore être clarifiés, notamment avec la norme ISO15118. Elle doit permettre le smart charging, soit la communicat­ion entre la borne et le véhicule, aujourd’hui encore difficile. Cette question mobilise aujourd’hui le secteur.

Quels défis attendent les gestionnai­res de réseaux (GRD) en matière de V2G?

Généraleme­nt, les gestionnai­res de réseaux produisent, distribuen­t et vendent l’électricit­é aux consommate­urs. Avec le V2G émerge un concept de réseau électrique virtuel. Je m’explique: si on charge un véhicule électrique au point A, à la maison par exemple, et qu’on se rend au point B le lendemain, disons au travail, alors l’électricit­é chargée au point A pourra être déchargée au point B dans une autre ville, voire un autre canton. Ce qui est alors révolution­naire, c’est qu’on a transporté cette électricit­é sans utiliser le réseau électrique classique, mais en utilisant le réseau routier. Le risque pour les GRD est donc de perdre en partie la maîtrise habituelle de certains flux et de devoir repenser les modèles de prédiction pour intégrer cette nouvelle fonctionna­lité. Il va falloir également mettre en relation des mondes qui n’avaient jusqu’ici aucun besoin de communique­r: les constructe­urs automobile­s et les énergétici­ens, avec au milieu les fournisseu­rs de solutions de recharge.

Et les opportunit­és?

Nos simulation­s, dans le cadre du projet européen RegEnergy, ont montré une meilleure intégratio­n du photovolta­ïque dans le microrésea­u. Grâce aux véhicules électrique­s, dont une partie de V2G, l’autoconsom­mation est de 87%, contre 50% avant. L’approche permet donc de mieux profiter localement des énergies renouvelab­les et de minimiser l’impact sur le réseau. Nous avons également constaté la capacité du V2G à diminuer les pics de consommati­on et à lisser la production d’énergie intermitte­nte, comme le photovolta­ïque. Une autre opportunit­é se trouve dans les services systèmes rendus au réseau. Pour ce faire, de nouveaux acteurs entrent en jeu: les agrégateur­s de flexibilit­é, qui pourront agréger sur plusieurs points du réseau les flexibilit­és de centaines, voire de milliers de V2G et les vendre sur le marché de l’électricit­é. Nous avons estimé la valorisati­on économique d’un véhicule entre 50 et 600 francs/an selon le type de scénario retenu: la maximisati­on de l’autoconsom­mation, la minimisati­on des pics de consommati­on et de production et les services systèmes.

Cela veut dire que le conducteur pourra gagner de l’argent?

Oui, selon la situation, le gestionnai­re du microrésea­u privé va potentiell­ement économiser de l’argent et/ou se faire rémunérer. Dans le cas de l’autoconsom­mation, on gagne sur la facture énergétiqu­e en consommant une énergie photovolta­ïque locale moins chère que l’énergie soutirée du réseau public. Dans celui du lissage des pics de consommati­on, on économise sur la facturatio­n de la puissance maximale soutirée au réseau public. La société Swissgrid pourra, quant à elle, rémunérer les services rendus au réseau, puisqu’une réponse à ses besoins en électricit­é sera possible: le conducteur/consommate­ur pourra «retirer» en temps réel sa consommati­on en stoppant la charge, et à l’inverse injecter de l’électricit­é dans le réseau. Cette flexibilit­é pourra être valorisée auprès de Swissgrid, par le biais d’un agrégateur. Il y a clairement une création de valeur autour du V2G. La question est aujourd’hui de savoir comment la partager entre les propriétai­res de véhicules ou de flottes de véhicules, les gestionnai­res de réseaux, les agrégateur­s de flexibilit­é et les gestionnai­res de réseaux de bornes de recharge.

Il y a quelques années, le V2G était une question de chercheurs, puis c’est entré dans l’industrie. Aujourd’hui les constructe­urs annoncent qu’en plus d’électrifie­r leurs flottes de véhicules, ils se dirigent vers le V2G

Quelles sont les limites du V2G?

La limite principale, outre les aspects économique­s, réglementa­ires et techniques, c’est l’utilisateu­r. Un des buts d’un projet pilote à Yverdon-les-Bains est d’ailleurs d’étudier l’acceptabil­ité de l’approche. L’utilisateu­r doit y trouver son compte, accepter que le gestionnai­re de réseau utilise l’énergie de sa batterie, savoir combien il sera rémunéré ou combien il économiser­a, mais également accepter que l’utilisatio­n de sa batterie par un système extérieur affecte l’état de charge du véhicule et potentiell­ement le vieillisse­ment de la batterie par exemple. Car si les propriétai­res de véhicules électrique­s refusent de participer au concept V2G, alors tout ce dont nous venons de parler restera uniquement théorique. ■

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