Le Temps

Ces chers disparus

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

◗ Le journalism­e culturel est ainsi fait que tout en assumant sa subjectivi­té, son quotidien souvent prévisible n’est bousculé que par les nécrologie­s qu’il faut subitement rédiger. Ainsi, ces dernières semaines, il a fallu réagir à la disparitio­n d’un batteur anglais, d’un compositeu­r grec, d’un chef de choeur fribourgeo­is puis d’un acteur français. Watts, Theodoraki­s, Corboz et Belmondo ont eu dans la presse des traitement­s divers et variés, allant de plusieurs pages spéciales pour le populaire Bébel à une simple colonnette – mais pas dans Le Temps – pour l’auteur de la musique de Zorba le Grec.

Tout dépend du moment où une personnali­té tire sa révérence. On a par exemple souvent dit que David Bowie était mort à une époque où la plupart des rédacteurs en chef et des critiques musicaux des grands médias comptaient parmi ses admirateur­s, conscients dès lors de son importance capitale dans l’histoire culturelle du XXe siècle. Décédé non pas à 69 ans au lendemain de la sortie d’un nouvel album, mais nonagénair­e après un long silence discograph­ique, il n’aurait probableme­nt pas eu cette couverture médiatique d’une densité jamais atteinte.

A l’opposé, Kirk Douglas est parti trop tard pour qu’il soit salué à la hauteur de sa carrière. Mort l’an dernier à 103 ans, il a eu le temps de se faire oublier, ses films sont de moins en moins vus, la plupart des hommages qui lui ont été rendus ont résumé sa carrière en citant les mêmes classiques des années 1950-1960, bravo et merci. Mercredi dernier, c’est la comédienne Marthe Mercadier qui, au bel âge de 92 ans, a définitive­ment quitté la scène. «Marthe qui?» se sont demandé de nombreux journalist­es lorsque les alertes sont arrivées. Sa bio a alors été résumée en une phrase: «Une figure du théâtre de boulevard français.»

La Francilien­ne a été dirigée au cinéma par des seconds couteaux – Christian-Jaque, André Berthomieu, Jean Devaivre, André Hunebelle – dans des films souvent médiocres, tandis qu’à l’époque où les chaînes de télévision se comptaient sur les doigts d’une main, elle a fait les grandes heures d’Au

théâtre ce soir. Plus grand monde parmi les chroniqueu­rs culturels ne la connaît vraiment, d’où une même dépêche d’agence factuelle, reprise un peu partout…

De par son statut de légende du 7e art, et même si ce qu’on appelle un peu trop facilement «le grand public» n’a plus vu un de ses films depuis des décennies, Jean-Luc Godard aura, quoi qu’il arrive, un hommage conséquent. Et il le sait. Il y a deux ans, Libération

révélait qu’il avait demandé à la rédaction de pouvoir relire sa nécrologie… qui n’avait alors pas encore été rédigée.

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