DIS-MOI CE QUE TU MANGES…
Le Mois du goût se penche, à travers des recherches menées par l’EPFL, des conférences et un dîner futuriste, sur les questions de la durabilité et la nourriture de demain.
Entre conférences de chercheurs de l'EPFL et dîner futuriste, la 21e édition de la manifestation qui s'est ouverte ce jeudi 16 septembre met au menu la question de la durabilité et nous sert l’assiette du futur
◗ What’s next? Parmi les 3000 événements prévus lors du Mois du goût, qui s'ouvrait ce jeudi 16 septembre, ils seront nombreux à aborder la nourriture de manière prospective, voire militante. Loin des débats liés à la pandémie au sujet du métier de restaurateur et de ses conditions actuelles, l'idée est ici de se concentrer non pas sur le plat du jour mais sur celui de demain.
Six prix, revus à la hausse, seront décernés cette année, afin de soutenir une profession «particulièrement éprouvée, aux avant-postes de la transition vers une alimentation plus durable», a souligné en substance le conseiller administratif Alfonso Gomez. Des cours de cuisine végétarienne seront en outre offerts cette année aux professionnels par Genève Tourisme, dans le cadre de sa stratégie pour un tourisme durable.
Pour regarder loin devant, sciences et ingénierie sont aussi impliquées. Lieu culturel et espace de coworking qui se plaît à mélanger les genres, HiFlow participe au Mois du goût genevois avec deux événements originaux: son cycle consacré au monde de demain, mêlant fiction et narration, s'ouvrira avec la Conférence de plusieurs chercheurs et entrepreneurs de l'EPFL intitulée «Future of Food».
RÉFORMER NOS SYSTÈMES ALIMENTAIRES
Où que l'on se tourne, «l'alimentation ressemble désormais à un champ de mines», constate Christian Nils Schwab, directeur de l'Integrative Food and Nutrition Center de l'EPFL. On commence à connaître le tableau, en effet, avec ces chiffres qui ont de quoi couper l'appétit: le gaspillage de 32% des denrées alimentaires alors qu'on s'attend à une explosion des besoins alimentaires de plus 60% d'ici à 2050; le système agroalimentaire qui occasionne 30% des émissions de gaz à effet de serre. A l'échelle planétaire, la faim et la malnutrition qui affectent 22% des enfants et plusieurs millions d'adultes, alors qu'à l'opposé la surconsommation et la malbouffe concernent la moitié de la population occidentale…Pour Christian Nils Schwab, il y a «urgence à réformer nos systèmes alimentaires qui demeurent essentiellement non durables. Le chercheur évoquera quelquesunes des pistes sur lesquelles travaillent les 370 laboratoires de la haute école: «Nous explorons trois axes principaux: les alternatives au plastique à usage unique, la nutrition de précision ou healthy ageing [le fait de vieillir en bonne santé, ndlr]. Il y a lieu d'inverser les parts de la recherche consacrées à la prévention et à la thérapie (respectivement de 3% et 97%) et d'augmenter la digitalisation du système agroalimentaire afin de réduire notamment le rôle des intrants. Les innovations technologiques doivent contribuer à améliorer le tableau.»
L’EPFL AU MENU
Christian Nils Schwab évoquera le rôle que pourraient jouer ici certains projets développés par des chercheurs de l'EPFL. Par exemple? My Food Repo, un app qui évalue notre consommation alimentaire grâce à l'intelligence artificielle à partir des photos et codes-barres de nos assiettes. Ou ce tube digestif miniature qui modélise la prise alimentaire et ses effets sur le métabolisme…
Autre intervenant lors de cette conférence, Bruno Rossignol dirige la restauration sur l'ensemble des 34 sites de l'EPFL, soit quelque 11 000 repas servis quotidiennement. Le chef et entrepreneur expliquera comment la haute école s'est livrée à un examen de conscience, avec pour résultat un bilan carbone détaillé et un plan visant à améliorer le régime du campus et son impact sur la planète. «A mon arrivée en 2019, j'avais pour mission de dresser un inventaire nutritionnel et de tout réformer, de la graine à l'assiette. Nous avons calculé précisément l'empreinte écologique de l'EPFL. La stratégie 20-30 est née de cette réflexion, avec la suppression de toutes les viandes étrangères, l'huile de palme, la vaisselle en plastique et les produits d'origine lointaine et hors saison.» Sans aller aussi loin que certains campus berlinois ou lucernois qui ont carrément banni la viande de leurs cantines, l'offre de l'EPFL est extrêmement diversifiée, des bols santé aux cuisines asiatique et méditerranéenne, avec plus de 50% de menus végétariens…
Bruno Rossignol présentera également trois start-up créées par des doctorants ou anciens élèves: Green Truck met ainsi à disposition sa flotte de véhicules électriques et à l'hydrogène pour des livraisons alimentaires aux entreprises; Déliss a créé des automates proposant une offre 100% végane et locale. Alors que Caulys cultive en permaculture sur le site de l'EPFL des herbes aromatiques – et bientôt des fruits et des légumes – récoltées et livrées chaque matin sur commande afin d'éviter tout gaspillage.
HiFlow a également mis sur pied un dîner du futur à la manière «d'une expérience totale mêlant l'art, le design et le décor de table au contenu des assiettes», selon sa créatrice Séverine Redon. La cheffe Alicia Rico a choisi de réfléchir au thème de l'eau et des ressources qu'offrent le Léman et nos autres lacs, leur flore et leur faune mais aussi leurs textures, afin d'élaborer un menu futuriste.
«ÉCUMES ET GELÉES»
Nous allons travailler des écumes et des gelées pour évoquer l'eau, ses flux et ses transformations, le bleu et l'oxygène, mais aussi des ingrédients liés à la cueillette sauvage – avec des salades de fleurs ou des baies sauvages – et à la fermentation. Les algues et certaines microalgues, telles la chlorella ou la spiruline, particulièrement riches en protéines, offrent un potentiel encore largement inexploité», estime Alicia Rico.
Ce menu en forme «d'hommage souriant au futur» a été élaboré en collaboration avec l'artiste Eléonore Grignon et un groupe d'étudiants de la HEAD dirigés par le designer Youri Kravtchenko.
Enfin, le Mois du goût coïncide avec le défi lancé aux ménages genevois en vue de réduire leur consommation de viande et d'augmenter la part du local dans leur nourriture. Le Forum de l'alimentation durable prolongera en outre le Mois du goût (du 11 au 16 octobre) en réunissant des acteurs de la filière agroalimentaire et des consommateurs pour scruter nos pratiques. ■
Conférence «Future of Food», mardi 21 septembre, 16h45-21h Dîner du futur, un repas expérimental, jeudi 30 septembre à midi. Association HiFlow, Plan-les-Ouates, chemin Champ-des-Filles 36. www.moisdugout-ge.ch www.geneve-villedugout.ch
«Nous avons calculé précisément l’empreinte écologique de l’EPFL et la stratégie 20-30 est née de cette réflexion»
BRUNO ROSSIGNOL, DIRECTEUR DE LA RESTAURATION DE L’EPFL