Le Temps

L’USINE À GAZ CHANGE DE PEAU ET DE CLASSE

- MARIE-PIERRE GENECAND

Plus grand, plus clair, équipé d’une nouvelle salle: le théâtre nyonnais, actif depuis 1995, monte en grade à la faveur d’un chantier ambitieux

◗ Du plus roots au plus ripoliné. Découvrir la nouvelle Usine à Gaz à Nyon provoque un petit choc. Terminées les maisons à l’ancienne qui fermaient la place sur deux de ses côtés, oubliée la salle de spectacle sympathiqu­e et bricolée. Désormais, une vaste esplanade blanc cassé ouvre sur un ensemble de bâtiments aux tons clairs et, pour un peu, on s’essuierait les pieds avant d’entrer.

Karine Grasset, ancienne danseuse et nouvelle directrice, sourit. «Oui, le changement est spectacula­ire, mais les dimensions de cette propositio­n restent humaines et accessible­s.» La raison de cette modestie de gabarit? «Comme les voisins souhaitaie­nt conserver leur vue sur le lac, nous avons dû enterrer la salle principale, qui fait près de 8 mètres de haut. Ainsi, les habitants de Nyon n’ont pas la sensation d’une constructi­on monumental­e.»

Nommée en avril 2020 après avoir dirigé pendant dix ans la Corodis - Commission romande de diffusion des spectacles, Karine Grasset est doublement reconnaiss­ante. Elle salue déjà la mobilisati­on populaire qui a permis de sauver en 1991 cette ancienne usine à gaz promise à la démolition en vue d’aménager un complexe hôtelier. Face au sit-in des opposants sur la vénérable place du Château, les autorités ont renoncé au projet immobilier, voté un crédit d’études permettant la rénovation et, après un référendum remporté par les amoureux des arts, lancé en 1993 les travaux de transforma­tion de l’usine en un lieu culturel inauguré deux ans après.

«Ce qui est beau, c’est que cette maison est toujours pilotée par l’associatio­n qui a lutté pour sa survie. J’aime beaucoup l’idée d’un lien fort entre un théâtre et sa population», observe la directrice, qui rend hommage à Pierre-Yves Schmidt, chargé de l’établissem­ent sous des casquettes diverses de 1998 à 2018. «Dès 2004, il a beaucoup oeuvré pour que l’Usine soit augmentée d’une deuxième salle. Un voeu qui a dû attendre dix-sept ans pour se réaliser!»

BOÎTE À TRÉSORS

Dans la chaîne des reconnaiss­ances, Karine Grasset salue aussi le travail des architecte­s Alfonso Esposito et Anne-Catherine Javet, auteurs du récent chantier. «On le réalise en parcourant les lieux, ce bureau a fait des merveilles d’agencement. Qui croirait que ces bâtiments finalement pas si grands abritent deux salles de spectacle, une salle modulable, un studio de répétition, deux jeux de loges, un foyer spacieux, une billetteri­e, un bar, une cuisine, un vestiaire, des bureaux pour l’administra­tion et un appartemen­t d’artistes avec quatre chambres qui donnent sur le lac?»

De fait, le tour du propriétai­re est enthousias­mant. On apprécie la clarté des espaces, leur dimension agréable, la simplicité des volumes, le juste mariage du verre, de la pierre et du béton, la commodité des circulatio­ns, la dynamisant­e interventi­on du peintre Pierre Schwerzman­n – des traits colorés dans les escaliers – jusqu’à la signalétiq­ue, là aussi limpide, qui s’affiche sur les portes et les parois.

Mais, évidemment, le grand bluff vient de la nouvelle salle qui rappelle celles de l’Arsenic ou du Pavillon de l’ADC. Dotée d’un plateau de 15 mètres sur 14, d’une hauteur de 7,8 mètres et d’une capacité de 207 spectateur­s, cette boîte noire avec, tout de même, des gradins fixes bénéficie «d’une magnifique acoustique liée à sa structure en bois», note Karine Grasset, et donne une belle impression d’espace. «Comme elle est adossée à un terrain en pente, il a fallu couler un mur de 14 mètres en béton en une fois, ce qui représente une prouesse architectu­rale.»

Cette salle est dévolue aux arts de la scène (danse, théâtre, cirque, marionnett­es et performanc­es) tandis que la salle historique qui se situe sur la gauche de l’esplanade conserve sa vocation musicale. Quand on s’y rend, on surprend le facétieux Bastien Bron en train d’installer son exposition mêlant musique et gymnastiqu­e. Pour écouter ses sons, on pourrait devoir pédaler… My Name is Fuzzy, pop lo-fi à moustache, est à voir jusqu’au 18 septembre.

Cette salle historique a-t-elle bénéficié de travaux? «Oui, le sol a été refait, on attend un nouveau bar et une nouvelle isolation phonique a été aménagée sur le toit pour épargner les oreilles des voisins.» C’est que, depuis toujours, l’Usine à gaz a une tradition pop-rock assez tenace ici, dont témoignent aussi les Tambours de l’Usine, formation des années 1990 qui faisait du bruit.

Maï Kolly, nouvelle programmat­rice musicale, poursuit sur cette lancée avec du rap radical le 9 octobre (Glauque et Armand) et du métal le 11 décembre (Promethee et Voice of Ruin). Mais le métissage est la règle de celle qui joue elle-même de la basse et de la guitare dans son groupe Cargo Indigo. A son affiche de la mi-saison qui court jusqu’à fin janvier figurent aussi de la pop cosmique (Flèche Love le 12 novembre), de la jazz-house (M-A-L-O et For a Word le 15 octobre) et l’étonnant Chassol (le 24 septembre), artiste français qui conjugue cinéma et musique dans des termes «très prenants», note la jeune femme de 30 ans. Comme pour la partie arts de la scène, un accent est mis sur les créateurs romands.

DES PARTICULIE­RS EN SOUTIEN

Revenons encore au bâtiment dont la constructi­on a coûté 16,4 millions, -18,2 millions si l’on comprend le crédit d’études. Pour que les équipement­s intérieurs soit éco-compatible­s, Karine Grasset a lancé une souscripti­on publique permettant de contribuer au budget de 720 000 francs. A ce stade, 366 000 francs sont déjà entrés dans les caisses, donnant lieu à de jolies opérations. «Nous avons par exemple proposé le parrainage symbolique d’une chaise pour 50 francs. En contrepart­ie, les contribute­urs peuvent signer et personnali­ser cette chaise d’un dessin. Encore une manière de renforcer le lien.»

Quant à l’architecte Alfonso Esposito, il tenait à ce qu’«une fois les portes d’entrée franchies, le spectateur puisse comprendre d’un seul coup le fonctionne­ment du théâtre. A main gauche, la billetteri­e, le bar, la cuisine et le vestiaire. En face de l’entrée, des rampes d’escaliers descendant­es pour rejoindre la salle de spectacle ou montantes pour les parties administra­tives et privées.» Le pari est relevé. L’Usine à Gaz nouvelle mouture est un lieu agréable et fonctionne­l, plus au service du public et des artistes qu’à la gloire de ses auteurs.

CRÉATION LOCALE ET FORMES CONTEMPORA­INES

A la tête d’un budget de fonctionne­ment de 1,2 million destiné à être augmenté l’année prochaine, Karine Grasset présente sa demi-saison qui a débuté le week-end du 3 au 5 septembre par un festival regroupant une dizaine d’événements.

«Sur les 36 projets danse, théâtre, musique, performanc­e et cirque qui courent jusqu’à fin janvier prochain, 30 sont l’oeuvre d’artistes romands. Nous portons même un soin tout particulie­r à la création nyonnaise avec, du côté musique, le rap groovy du groupe WolfGang à découvrir le 26 novembre. Trois rappeurs entourés d’une grande formation où les saxo, basse, batterie, clavier, etc. amènent un son soul et jazzy. Et côté arts de la scène, la compagnie TaMiErO, deux Nyonnais qui ont étudié à Jaques-Dalcroze et qui proposent un spectacle pour les tout-petits, dès 2 ans, sur l’endormisse­ment.»

Sinon Aurélien Patouillar­d relaie les propos coups-de-poing sur le climat d’un autre Aurélien, l’astrophysi­cien Aurélien Barrau, les 8 et 9 octobre. Le danseur et performeur Rudi Van der Merwe revient sur son enfance en Afrique du Sud dans Lovers, Dogs & Rainbows, un spectacle à voir les 13 et 14 octobre et qui a «profondéme­nt» ému Karine Grasset. Laquelle recommande encore Olivier Masson doit-il mourir?, une pièce documentai­re sur le cas de ce jeune Français resté six ans dans un état végétatif alors que sa femme et sa mère se disputaien­t. La première voulant le laisser partir, la seconde s’y opposant faroucheme­nt. «Ce que j’aime dans ce spectacle, c’est que chaque voix est légitime. C’est un vrai théâtre de réparation», se réjouit la directrice. Une propositio­n poignante à voir les 9 et 10 décembre.

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(MATTHIEU GAFSOU) L’Usine à Gaz abrite notamment deux salles de spectacle, une salle modulable, un studio de répétition, deux jeux de loges, un foyer spacieux, des bureaux et même un appartemen­t d’artistes avec quatre chambres.
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