Le Temps

Feuilleter un livre électroniq­ue? Impossible!

- ÉLÉONORE SULSER @eleonoresu­lser

◗ En quête d’une chronique, je me suis mise à la recherche d’un lieu où trouver l’inspiratio­n, d’un livre donc. Je n’avais pas les idées très claires, j’en ai donc choisi un que j’aime beaucoup, et qui s’avère particuliè­rement hétéroclit­e – ce qui n’enlève ni à sa finesse, ni à son intelligen­ce –, Bardadrac de Gérard Genette (Seuil). Un livre dont j’ai déjà parlé ici et qui doit son nom à une amie de l’auteur, qui qualifiait ainsi le sac rempli d’objets divers qu’elle emportait partout avec elle. Bardadrac est un abécédaire facétieux, un catalogue de mots, dont chacun ouvre une réflexion ou un jeu de l’auteur.

Seulement voilà, ce livre-là, afin de l’avoir toujours dans le «bardadrac» que moi aussi j’emporte partout, je ne le possède qu’en version électroniq­ue. Ce qui, en l’occurrence, s’avère une grave erreur. Car un texte de ce genre appelle une lecture décousue, vagabonde et surtout marquée par le hasard.

Avec un livre de papier, il eut été aisé de jouer. On peut l’ouvrir au petit bonheur la chance, tenter le test de la page 99, ou – c’était mon intention première –, le feuilleter jusqu’à ce que le regard saisisse une entrée, un mot, une phrase, y accroche une idée, qui à son tour suscitera l’écriture.

Or me voilà, téléphone à la main, ouvrant Bardadrac, et constatant, non sans déplaisir, l’absence de table des matières. Pas moyen donc d’entrer dans le livre autrement qu’en glissant le long des 2572 feuillets qu’annonce le curseur. Vous me direz, on pourrait faire glisser ce curseur et s’arrêter au hasard… Certes, mais cela n’a rien d’organique, et l’implacable défilement des chiffres rend l’exercice bien rigide.

Je m’énerve donc et tente de tourner les pages aussi vite que possible. C’est laborieux. Soudain, la souplesse du papier, sa capacité à battre de ses ailes multiples, à laisser passer l’air et l’inspiratio­n entre ses pages, me manque cruellemen­t. «Feuilleter», ce beau mot qu’on applique à la pâte à gâteau comme aux livres, n’a plus de sens ici. Et me voici, condamnée à la lettre A, faisant défiler toutes ses occurrence­s les unes après les autres, voilà enfin B… et ce «bardadrac» qui vient raviver le désir de fouiller, de piocher au pif, de trouver par chance, enfin, d’être surprise!

Avec rage, je lance le curseur sur la droite. Il parcourt toute la ligne des pages! Voilà la 2572… Et voici la lettre Z et la dernière entrée de Gérard Genette. Et sa conclusion vaut aussi pour moi: «Zut. Ce pourrait être mon dernier mot.»

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