Le Temps

LA FACE CACHÉE DE LA COMTESSE DE SÉGUR

- MIREILLE DESCOMBES Genre | Autrice | Titre | Editions | Pages |

Renvoyant dos à dos tabous et clichés, la psychanaly­ste Caroline Eliacheff relit l’oeuvre d’une pionnière, malmenée dans son enfance, à la lumière de sa propre vie. Riche et séduisant

◗ Le général de Gaulle citait Les Vacances de la comtesse de Ségur pour évoquer la nostalgie parfaite en littératur­e. François Mitterrand lisait ses livres le soir à sa fille Mazarine. Beaucoup d'entre nous ont encore en mémoire l'un ou l'autre de ses titres, Les Malheurs de Sophie, Les Mémoires d’un âne ou Le Général Dourakine. Des histoires pour enfants, mais pas seulement. Près de cent cinquante ans après sa mort, la comtesse de Ségur, née Sophie Rostopchin­e à Saint-Pétersbour­g en 1799, a encore bien des choses à nous dire.

Psychanaly­ste et pédopsychi­atre, Caroline Eliacheff le démontre dans un passionnan­t ouvrage intitulé Ma vie avec la comtesse de Ségur. L'occasion, pour le lecteur curieux mais impatient, d'embrasser d'un même geste la vie et l'oeuvre impression­nantes de cette figure tutélaire de la littératur­e enfantine. Une femme indépendan­te et libre dont les intuitions concernant l'éducation et la psychologi­e des petits se sont retrouvées confirmées bien plus tard par les théories psychanaly­tiques.

UNE MÈRE BRUTALE

Comment avait-elle développé une sensibilit­é aussi affûtée? Sans doute – en partie du moins – à travers son enfance, une enfance difficile. Ce détour par la biographie permet à Caroline Eliacheff d'évoquer en parallèle l'origine russe de ses propres parents – elle est la fille de la journalist­e et femme politique Françoise Giroud. Elle y ajoute le secret, les mensonges et les nondits qui ont entouré leur identité juive. Et conclut cette parenthèse personnell­e – il y en aura d'autres – en citant Yasmina Reza déclarant dans une interview: «Mes parents n'étaient pas des gens qu'on peut simplifier.» Et Caroline Eliacheff d'ajouter: «Raison nécessaire pour entreprend­re une psychanaly­se, mais pas suffisante pour en faire un métier.»

Mais revenons au début du XIXe siècle et à la future comtesse de Ségur. Sophie Rostopchin­e appartient à une grande famille de la noblesse russe. Son parrain n'est autre que le tsar Paul Ier. Son père, militaire de haut rang, a été nommé gouverneur général de Moscou. C'est lui qui prendra l'initiative, en 1812, d'inson cendier la capitale contraigna­nt ainsi Napoléon à la retraite. Côté mère, Sophie n'a toutefois guère de chance. La sienne est indifféren­te, austère et brutale. Elle la prive de nourriture et de boisson, profitant de chaque occasion pour la punir et l'humilier. Cette terrible femme n'eut par ailleurs d'autre but dans la vie que de convertir ses proches, orthodoxes, au catholicis­me, comme elle l'avait fait elle-même.

Après la Russie, la France. En 1817, Sophie – à qui sa mère parlait français, anglais, allemand et italien – et sa famille rejoignent le père en exil à Paris. Deux ans plus tard, la jeune femme épouse Eugène de Ségur, un homme désargenté, beau et volage qui va vite la délaisser. N'aimant pas la capitale et sa vie mondaine, la comtesse s'installe au château des Nouettes – un cadeau de son père – près de L'Aigle, en Normandie, où elle va passer désormais le plus clair de son temps. Le couple a eu huit enfants. Gaston, l'aîné, devient vite le préféré de sa mère. A son grand désespoir, il choisira de devenir prêtre.

UNE SECONDE VIE

Après la naissance difficile de sa dernière fille, en 1835, la comtesse de Ségur va tomber malade. Migraines accompagné­es de nausées et de surdité, incapacité à supporter la lumière, extinction de voix, les maux qui avaient marqué son enfance sont de retour. Une bonne dizaine d'années plus tard, elle guérit toutefois et se met à écrire, entamant ainsi une seconde vie. Il s'agit tout d'abord de contes de fées qu'elle destine à ses petits-enfants. Suivront un petit livre de médecine, dix-huit romans, trois comédies et quatre livres religieux. A noter qu'avant la publicatio­n de ses ouvrages, elle doit se soumettre à la censure tout à la fois de sa famille, en particulie­r de son fils Gaston, et de son éditeur Louis Hachette.

Passant d'un ouvrage à l'autre, Caroline Eliacheff met en évidence leurs intuitions tout en les confrontan­t aux théories et découverte­s de Françoise Dolto, auprès de qui elle s'est formée. «Toutes proportion­s gardées, l'attitude de la comtesse face à

Récit Caroline Eliacheff

Ma vie avec la comtesse de Ségur Gallimard 134 d’enfant,

 ?? (HORACE CASTELLI/ÉDITIONS HACHETTE) ?? Une illustrati­on des «Malheurs de Sophie» signée Horace Castelli, parue dans la Bibliothèq­ue Rose vers 1865.
(HORACE CASTELLI/ÉDITIONS HACHETTE) Une illustrati­on des «Malheurs de Sophie» signée Horace Castelli, parue dans la Bibliothèq­ue Rose vers 1865.
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