A Mitrovica, le spectre d’un nouveau cycle de violence
L’enclave serbe du nord du Kosovo s’est à nouveau embrasée alors que les élections municipales de dimanche représentent un test pour le nouveau premier ministre réformateur, Albin Kurti
Jeudi matin, les barricades qui bloquaient le secteur serbe du nord du Kosovo sont levées, mais une ambiance plus que plombée pèse toujours sur la ville de Mitrovica. Les rues sont pavoisées aux couleurs du drapeau serbe, et le moindre pan de mur est recouvert d’affiches de la Lista Srpska, l’hégémonique parti des Serbes du Kosovo. Téléguidé depuis Belgrade, il est assuré ici de remporter encore une fois haut la main les élections municipales ce dimanche.
Beaucoup de voitures arborent des plaques d’immatriculation, kosovares ou serbes, dont les insignes nationaux sont cachés par des autocollants blancs: c’est la solution «provisoire» trouvée le 30 septembre pour mettre un terme à la crise des plaques d’immatriculation qui avait mis le feu aux poudres le mois dernier. Alors que Belgrade refusait de laisser passer les voitures immatriculées «RKS», pour «République du Kosovo», Pristina a voulu introduire un «principe de réciprocité», en interdisant les immatriculations serbes.
«Le compromis est pratique», reconnaît Miodrag Milicevic, qui dirige l’ONG Activ, l’une des rares organisations promouvant le dialogue intercommunautaire, «mais il passe mal auprès de beaucoup. Les gens ont le sentiment qu’on leur ordonne de cacher leur identité.» Pour l’instant, la police fait preuve de tolérance, mais des amendes sont prévues pour ceux qui refuseraient ces autocollants.
Dans les commerces et les cafés de la ville, personne ne veut parler. Les journalistes ne sont pas bien vus: plusieurs, tant albanais que serbes, ont été agressés lors des violences qui ont à nouveau éclaté mercredi. En cause, cette fois-ci, une opération anticriminalité lancée par la police du Kosovo. «Je n’ai rien contre cette action», poursuit Miodrag Milicevic. «Mais pourquoi déployer les blindés et les unités spéciales de la police pour aller perquisitionner une simple pharmacie?»
«Un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts»
Dès que l’opération a commencé, mercredi vers 9 heures du matin, des centaines de Serbes se sont regroupés aux abords de la pharmacie. Des heurts ont éclaté avec la police, qui a utilisé des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles pour disperser la foule.
Dix personnes ont été blessées
– «et c’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts», estime Miodrag. «Cette fois-ci, rien n’était organisé par la Lista Srpska. Les gens sont à bout de nerfs. D’après nos enquêtes, la moitié des Serbes du Kosovo espèrent quitter définitivement le pays dans les cinq prochaines années.»
La nouvelle action de la police du Kosovo a naturellement provoqué un tollé à Belgrade. Toutes affaires cessantes, le président Alexandar Vucic est descendu dans la petite ville de Raska, qui jouxte le secteur nord du Kosovo. Accompagné du chef de l’état-major, des ministres de l’Intérieur et de la Défense, il a martelé sur un ton guerrier: «Nous défendrons les Serbes du Kosovo et Metohija [référence à la moitié sud-ouest du pays, ndlr] par tous les moyens», postant sur Instagram: «La trahison n’est pas une option, vive la Serbie!» Il y a un mois, lors de la crise des plaques d’immatriculation, la Serbie avait fait manoeuvrer quelques blindés aux abords de la frontière.
Pristina pointé du doigt
Cette fois-ci, la rhétorique guerrière semble avoir suffi, d’autant que, pour la première fois, la communauté internationale semble rejeter sur Pristina la responsabilité de la crise. Ainsi, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a explicitement condamné sur Twitter l’action «unilatérale» du gouvernement d’Albin Kurti, même si les autorités du Kosovo assurent qu’elles en avaient informé leurs partenaires internationaux.
A Pristina, Visar Hymeri, le directeur de l’Institut Musine Kokalari, un think tank social-démocrate, semble faire écho à Miodrag Milicevic. Ancien député, Visar Hymeri a même présidé un temps Vetëvendosje, le mouvement du premier ministre, dont il a claqué la porte en 2017. «Albin Kurti fait de la surenchère patriotique pour marquer des points en vue des élections municipales, mais je crois qu’il n’a aucun plan pour le nord. C’est dommage, car il avait du crédit auprès des Serbes. Sa volonté de lutter contre la corruption pouvait trouver écho auprès d’eux, mais envoyer la police spéciale tous les mois est un très mauvais message, qui conforte la propagande de Belgrade… Cela effraie même les Serbes des enclaves du Sud. Comment parler d’intégration et agir ainsi?» Le dialogue qui doit reprendre d’une manière ou d’une autre entre les deux pays semble bien mal parti.
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