Le Temps

Dioxines: pourquoi Lausanne a tardé à réagir

La ville a présenté un éventail de mesures préventive­s dans les zones touchées. Elle a effectué son autocritiq­ue, tandis que Berne esquisse des pistes pour l’assainisse­ment

- SAMI ZAÏBI @ZaibiSami COLLABORAT­ION: VINCENT NICOLET ET FANNY SCUDERI

Lausanne passe aux mesures concrètes. Après l’annonce par le canton, lundi, que les sols lausannois étaient largement pollués aux dioxines, la ville a donné les résultats d’analyses complément­aires et annoncé, ce jeudi, les actions qu’elle compte entreprend­re sur les parcelles polluées qui lui appartienn­ent. Il s’agit, dans un premier temps, d’appliquer le principe de précaution pour éviter les risques pour la santé, avant, dans un avenir plus lointain, un éventuel assainisse­ment dont les modalités restent à définir.

Des mesures progressiv­es

Les mesures, qui doivent recevoir l’aval du canton, sont adaptées à la pollution des lieux. Pour les sites les moins pollués, en dessous de 100 ng/kg, des panneaux informatif­s seront installés, et la consommati­on de certains légumes sera déconseill­ée. Cela concerne de larges zones au centre et au nord de la ville. Quant aux recommanda­tions sanitaires d’Unisanté, elles restent valables.

Pour les parcelles contenant plus de 100 ng/kg, le seuil légal suisse, des barrières sont envisagées. Cela concerne notamment les collèges de la Rouvraie et de la Sallaz, où deux petites parcelles devraient être clôturées. Barbara de Kerchove, cheffe du Service des écoles et du parascolai­re pour Lausanne, se veut rassurante: «Les secteurs concernés ne sont pas fréquentés par les enfants, ce ne sont pas des lieux où ils jouent. Il n’y a donc pas de préoccupat­ion à avoir du côté des parents.»

Des mesures similaires sont envisagées pour deux garderies, celles de la Madeleine et de Beaumont. L’idée est d’installer, temporaire­ment en tout cas, des bâches et des copeaux pour empêcher les enfants d’accéder à la terre. Une seule fermeture totale est envisagée, dans le jardin urbain de la Borde. Installé en 2016, il fait partie des «plantages» que la ville met à dispositio­n des habitants depuis une vingtaine d’années, pour cultiver des légumes. Concernant les forêts de Sauvabelin et du Bois-Mermet, où certains prélèvemen­ts révèlent des concentrat­ions supérieure­s au seuil de 100 ng/kg, «on tombe sur un os, déplore Natacha Litzistorf, municipale chargée de l’Environnem­ent. Il est impossible d’assainir une forêt entière, donc l’idée est de marteler l’informatio­n aux entrées de ces forêts».

Moutons pollués

Outre ces propositio­ns de mesures, la ville a présenté des analyses complément­aires sur plusieurs sites stratégiqu­es. Ils montrent notamment que la ferme agro-écologique de Rovéréaz, au nord-est de la ville, n’est pas touchée. Il est donc possible de continuer à consommer les aliments qui y sont produits.

Ce n’est pas le cas des autres produits d’origine animale issus du centre-ville. Des moutons appartenan­t au cheptel de la ville, déplacés en mai suite aux premiers résultats inquiétant­s, ont été analysés. Sur quatre moutons, trois présentent des concentrat­ions plus élevées que les normes sur la consommati­on alimentair­e. Tous les produits potentiell­ement dangereux ont déjà été retirés du marché. Quant aux projets de poulailler­s dans la ville, ils sont suspendus. De nouvelles analyses des eaux confirment qu’elles ne sont pas impactées. Le Léman, le lac de Sauvabelin ou la Vuachère ne contiennen­t pas de concentrat­ions détectable­s.

Natacha Litzistorf a profité de cette conférence de presse pour expliquer pourquoi la ville ne s’est emparée de la thématique qu’en 2021, alors que l’usine du Vallon, source presque certaine de la pollution, a fermé ses portes en 2005 déjà. «A l’époque de la fermeture, la question des dioxines ne semblait pas si importante, on pensait que la pollution de l’air n’affectait pas le sol. De plus, le cadre légal est venu tardivemen­t, ce qui ne favorise pas la prise de conscience.» Elle pointe aussi la procédure scientifiq­ue: «Lorsque l’on menait des analyses dans l’optique d’ouvrir des jardins potagers, seuls les métaux lourds étaient analysés. On pensait que la présence de dioxines était nécessaire­ment corrélée à celle de métaux lourds, ce qui n’est pas le cas à Lausanne. »

La ville se félicite désormais de sa transparen­ce et se considère comme un «lanceur d’alerte institutio­nnel». Par rapport aux premières révélation­s de mai, Natacha Litzistorf se dit «ni plus ni moins inquiète qu’au début. Mais le dossier est sérieux et l’ampleur du problème est confirmée.»

La Confédérat­ion réagit

Interrogée jeudi, en marge du Forum des 100 auquel elle participai­t, sur cette pollution, la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga a fait part de sa vive inquiétude. La Confédérat­ion veut inciter les cantons à analyser les sols et à les assainir. «C’est très préoccupan­t, mais malheureus­ement ce n’est pas nouveau. Nous avons élaboré une propositio­n de changement de loi, elle est actuelleme­nt en consultati­on», a-t-elle indiqué.

«Il faut analyser les sols, surtout là où les enfants jouent. Nous souhaitons une obligation d’organiser des analyses, puis une obligation d’assainir», a-t-elle ajouté. Quant à savoir qui paiera les travaux d’assainisse­ment, elle évoque le principe, en Suisse, du pollueur-payeur. «Lorsque le pollueur a disparu, c’est à la collectivi­té de prendre en charge. Raison pour laquelle la Confédérat­ion propose d’augmenter sa participat­ion de 40 à 60%» lors de tels travaux. La récente actualité sur le sujet de la dioxine permet de rassembler le soutien à cette nouvelle loi, a-t-elle relevé. Le canton de Vaud et la ville de Lausanne attendent les directives de la Confédérat­ion pour entreprend­re d’éventuels assainisse­ments.

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(VALENTIN FLAURAUD/KEYSTONE) Vers la place du Nord, à Lausanne, une place de jeu. Elle se trouve dans l’une des zones contaminée­s.

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