Le Temps

«Mon voyage politique ne s’arrêtera pas au prétoire»

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Ultime jour d’audience dans l’affaire la plus disputée du moment. Pierre Maudet a pris la parole en dernier pour demander aux juges de se départir du tumulte et de dire le droit. Le verdict tombera dans plusieurs semaines

Ambiance un brin dissipée de bon matin dans la grande salle du Palais de justice de Genève. Les plaidoirie­s de mercredi ont épuisé l’assistance et l’audience de l’affaire Maudet touche à sa fin. Me Fanny Margairaz, qui défend Pierre Maudet aux côtés de Grégoire Mangeat et Yaël Hayat, va clore ce marathon par une démonstrat­ion qui s’annonce très technique. Le premier procureur Stéphane Grodecki a promis à la Chambre pénale d’appel et de révision de ne pas répliquer. On verra s’il tient parole ou si la tentation sera trop forte.

Premier thème: le voyage d’Abu Dhabi pour lequel l’ancien conseiller d’Etat a été condamné en première instance. A tort, martèle la défense. Pierre Maudet n’a pas pu accepter un avantage indu venant de Magid Khoury, car ce dernier n’a pas octroyé le cadeau directemen­t – mais seulement organisé l’invitation financée par la famille royale –, et n’a pas participé à une sorte de plan commun avec la couronne. C’est la logique du miroir. Si Magid Khoury n’a pas octroyé cet avantage, Pierre Maudet n’a pas pu l’accepter de sa part.

Mensonge accessoire

L’avocate demande donc d’écarter la thèse du Tribunal de police qui a fait du voyage un avantage global, financé par l’émirat, rendu possible par Magid Khoury et favorisé par Antoine Daher dans l’idée (pour ces deux derniers) de s’attirer la bienveilla­nce du ministre et de son chef de cabinet afin de faciliter leurs affaires. Elle demande d’écarter encore plus l’accusation du Ministère public selon laquelle l’ex-ministre a aussi accepté l’éventualit­é de se retrouver sous la coupe de la couronne en recevant cette offrande de quelque 50000 francs dans un contexte de pourparler­s officiels portant sur la collaborat­ion sécuritair­e ou des aspects protocolai­res.

Pourquoi avoir voulu dissimuler les choses si tout était si normal? Pierre Maudet n’a pas menti pour cacher l’implicatio­n de ses amis genevois ou parce qu’il aurait envisagé que ce voyage fût offert dans le but de l’influencer, soutien Me Margairaz. C’était pour éviter un dégât d’image, pour fuir les questions dérangeant­es des journalist­es et d’autres choses encore.

Paroles de prévenus

A entendre son avocate, Pierre Maudet était donc fondé à accepter cette généreuse invitation pour prospecter de bonnes affaires pour Genève, il n’a pas dérogé aux usages sociaux en faisant appel à des privés pour nouer des contacts utiles, Magid Khoury était légitime pour intervenir dans cette organisati­on en contactant son oncle Charbel Ghanem (surnommé «le parrain»), le montant astronomiq­ue du cadeau n’est pas prouvé, et Pierre Maudet n’avait aucune raison d’envisager le risque que ce même Magid Khoury ait nourri quelque arrière-pensée. Enfin, le ministre de l’époque, tout en étant à la tête de l’Economie, n’avait aucun pouvoir décisionne­l lui permettant d’intervenir dans le domaine d’activité de ce promoteur.

Arrive le thème du sondage. Soudain, le raisonneme­nt du Tribunal de police, pourtant conspué depuis une heure, devient limpide et pertinent. Pierre Maudet ayant été acquitté sur ce point, la question est remise sur le tapis avec l’appel du Ministère public. Un agent public a le droit de financer son activité politique par des privés, rien d’indu dès lors dans le versement de 34000 francs par les sociétés du même Magid Khoury, explique Me Margairaz. Il faut donc confirmer l’acquitteme­nt et ne pas s’aventurer sur l’interpréta­tion «extra-large» du parquet qui voit dans ces versements la suite de l’entreprise de prise d’influence fomentée par le promoteur et son employé le plus doué dans le relationne­l.

Stéphane Grodecki tient sa promesse et ne répliquera pas.

La présidente donne la parole aux prévenus qui s’expriment toujours en dernier. Patrick Baud-Lavigne, Antoine Daher et Magid Khoury n’ont rien à rajouter.

Pierre Maudet sera forcément plus long: «Lorsqu’on donne la parole à un politicien, c’est génétique, il doit la prendre.» Il dit avoir le sentiment qu’une étape a été franchie après ces longues années de procédure et conserve deux espoirs. «J’espère que ces débats ont permis une meilleure compréhens­ion de ce voyage, de mes objectifs et des intérêts que j’ai voulu servir. J’espère aussi que cette cour puisse porter un regard détaché sur l’homme que je suis, qui n’est ni au-dessus ni en dessous des lois, et se départir du tumulte pour dire le droit.» L’ex-ministre espère enfin que «le voyage juridique» s’arrête là. Et promet: «Le voyage politique ne s’arrêtera pas au prétoire.»

Pour savoir quel sort sera réservé à ce dossier, il faudra patienter plusieurs semaines et se passer d’une audience publique. Le jugement sera envoyé par la poste.

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Pierre Maudet face aux juges de la Chambre pénale d’appel et de révision.

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