Le Temps

Haines intérioris­ées, organisées, déjouées

- CAROLINE DAYER CHERCHEUSE ET FORMATRICE, DÉLÉGUÉE DU DFJC AUX QUESTIONS D’HOMOPHOBIE ET DE TRANSPHOBI­E

La haine. Celle qui s’immisce et s’incruste, sournoise et indétectab­le. Celle qui ne crie pas mais torpille et fait mourir à petit feu. La haine de toutes parts, y compris de sa propre famille. La haine à tous moments, des préaux aux réseaux sociaux, des injures aux crachats, des gestes aux passages à tabac. Une haine sourde et brute à la fois. La haine de soi. Cette haine-là, engendrée par la haine homophobe, ampute la constructi­on identitair­e et mine l’estime de soi. Indicible et génératric­e de honte et de culpabilit­é, elle conduit à une socialisat­ion tronquée, à une projection de vie en sursis. Comment se formuler à soi-même et à autrui? A qui parler sans craindre le rejet? A qui s’identifier pour se (re)connaître?

Cette haine intérioris­ée ne vient pas de nulle part. Elle découle de discrimina­tions structurel­les et s’insère dans une constellat­ion de violences. Dans ce sens, la notion de «phobie» – considérée comme une peur morbide et irrationne­lle – constitue un obstacle de compréhens­ion et d’action. Ce prisme psychologi­sant, individual­isant et déresponsa­bilisant masque le fait que cette haine est au service de l’hétérosexi­sme (système idéologiqu­e qui hiérarchis­e les sexualités). La haine homophobe ne se compose pas d’électrons libres. Il ne s’agit pas d’une haine isolée mais organisée, qui assène ses slogans mensongers et brandit ses pancartes contre l’égalité, alors que cette dernière n’enlève rien à personne. L’avancée vers les mêmes droits – ni plus ni moins – subit des déferlemen­ts de haine qui ne laissent pas indemne.

Les recherches scientifiq­ues continuent de souligner que les jeunes personnes non hétérosexu­elles sont davantage la cible de violences que leurs camarades. Leur taux de tentatives de suicide est également plus haut, notamment en raison de la stigmatisa­tion et du manque de soutien (sphères scolaire, familiale, amicale principale­ment). Quand la haine vient des plus proches, les vecteurs de protection habituels se mutent en zones minées, les endroits de refuge deviennent des lieux de danger. Cette articulati­on entre facteurs de risque plus élevés et facteurs de protection moindres souligne les enjeux institutio­nnels en termes de politique éducative et de santé publique.

Quelle qu’elle soit, l’orientatio­n affective et sexuelle n’est pas un choix. Et quand bien même. Pourquoi tant de haine face au droit d’être soi? Tant de têtes qui se retournent dans la rue, de regards qui se détournent au travail, de dos qui se tournent, même de l’entourage. Tant de drapeaux arc-en-ciel arrachés, lacérés, brûlés. La haine dit davantage de la personne qui l’exprime que de celle qui en est la cible. La haine défigure mais ce sont les traits du visage qui la porte qui sont déformés. La haine homophobe provient plus d’un sentiment de menace de ce qui est proche que de ce qui est lointain. Pourquoi en user si le for intérieur est serein? Mise en abyme des failles d’un château pas si fort, elle exerce un effet miroir.

La haine laisse parfois sans voix. Par sidération ou refus de l’alimenter, chaque situation demande une stratégie contextual­isée. Lever la confusion entre croyance et connaissan­ce, entre opinion et incitation à la haine se montre incontourn­able. Le refus des violences et des placards agit comme un pouvoir de transforma­tion et d’émancipati­on. Le dépassemen­t de l’ignorance et le décollemen­t du nombril invitent à créer des ponts plutôt que des murs, des dialogues plutôt que des fossés.

Les voies, plurielles et collective­s, pour déjouer la haine permettent de passer du silence à la reconnaiss­ance, de la honte à l’affirmatio­n, de la paralysie à l’indignatio­n, de la solitude à la solidarité. L’éducation, l’informatio­n, la formation demeurent non seulement des remparts mais aussi des tremplins. C’est dans cette dynamique que s’inscrit concrèteme­nt le plan d’action vaudois de prévention et de traitement de l’homophobie et de la transphobi­e du Départemen­t de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) du canton de Vaud. Que les horizons pour la diversité des existences s’ouvrent, qu’elles puissent se nommer et se déployer hors du spectre de la haine, que cette dernière n’ait pas et ne soit pas le dernier mot.

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