Face à Apple, l’Europe risque de tout perdre
L’Union européenne veut que la multinationale américaine change ses pratiques concernant son magasin d’applications, son système de paiement et ses chargeurs. Mais les chances de faire plier Apple semblent minces
Il y eut les trois amendes infligées à Microsoft entre 2004 et 2013. Puis ce fut au tour de Google, entre 2017 et 2019, d’être sanctionné à trois reprises par Bruxelles. Progressivement, c’est un autre géant américain du numérique qui attire l’attention de l’Union européenne (UE): Apple. Par petites touches, la Commission européenne constitue un vaste dossier à charge contre la multinationale dirigée par Tim Cook.
Mais Bruxelles a un problème: ses chances d’aboutir semblent minces. L’exécutif européen avait déjà subi un revers de taille en juillet 2020, lorsque les juges européens avaient invalidé sa décision d’imposer à Apple de rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux à l’Irlande. Il n’est pas certain que Bruxelles obtienne de meilleurs résultats sur trois dossiers majeurs: la concurrence sur l’accès aux applications, le paiement via l’iPhone et les connecteurs pour téléphones.
L’accès aux applications
Apple a une phobie: que l’UE le force à laisser les utilisateurs d’iPhone télécharger des applications hors de son App Store. Or c’est bien ce qui est rendu possible par le Digital Markets Act (DMA), une loi, actuellement en consultation, qui pourrait forcer les détenteurs de plateforme à accepter de la concurrence. Sur un iPhone, cela pourrait passer par l’émergence d’autres magasins d’applications que l’App Store officiel. Ou la possibilité de télécharger des apps directement depuis des sites web.
Ce mercredi, Apple a publié une étude d’une trentaine de pages pour dire tout le mal qu’il pense de cette idée, appelée «sideloading»: «La prise en charge du sideloading par le biais de téléchargements directs et de magasins d’applications tiers désactiverait les protections de confidentialité et de sécurité qui ont rendu l’iPhone si sûr et exposerait les utilisateurs à de graves risques de sécurité», selon Apple. La société affirme en plus que sur Android, le système concurrent de Google, les infections par des «malwares» sont d’ailleurs entre 15 et 47 fois plus fréquentes que sur iPhone.
Dans ce dossier, Apple court cependant peu de risques: il ne détient, avec son système iOS, que 32% du marché des systèmes d’exploitation pour téléphones en Europe, et Bruxelles aurait de la peine à le juger en position dominante. En plus, il n’est pas certain que le futur Digital Markets Act, en consultation auprès des Etats membres, offre au final la possibilité à Bruxelles d’imposer le «sideloading».
Le paiement par téléphone
Le 6 octobre, l’agence Reuters affirmait que la Commission européenne était proche d’imposer une lourde amende à Apple pour son système de paiement, et de le forcer à l’ouvrir à la concurrence. Le point de friction, c’est la puce NFC qui se trouve dans les téléphones. Apple interdit à des apps tierces d’utiliser cette puce pour des paiements sans fil, par exemple, forçant ainsi le service suisse Twint à employer le Bluetooth, moins efficace. Apple se réserve cette puce pour son service Apple Pay. A l’inverse, Google autorise d’autres fournisseurs de services à utiliser la puce NFC installée dans les téléphones Android.
En novembre 2019, Bruxelles ouvrait une enquête préliminaire contre Apple, soupçonné d’entrave à la concurrence. Mais même si une amende et une sanction devaient intervenir – ce qui est loin d’être inéluctable – Apple fera appel. Avec au final des chances de succès et surtout des années de procédure en plus, ce qui permettra à la multinationale d’imposer un peu plus son système Apple Pay, nettement plus utilisé que Google Pay et Samsung Pay.
Les chargeurs
Il y a trois semaines, la Commission européenne réaffirmait son ambition d’imposer un chargeur unique pour les téléphones, avec le port USB-C. Et à nouveau, Apple, qui fait bande à part avec son port Lightning, a dit tout le mal qu’il pensait de cette idée.
Bruxelles espère un texte contraignant «d’ici quelques semestres». Mais sur ce dossier, Apple est serein. L’UE affiche un tel objectif depuis douze ans, sans aucun résultat tangible. Et surtout, il est fort possible que dans quelques années ce ne sera plus l’objet d’un débat, tous les connecteurs ayant disparu au profit de systèmes sans fil, même pour la recharge.
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