Le Temps

Mandela et la haine

- JACQUES MOREILLON, MEMBRE HONORAIRE DU CICR

Entre 1973 et 1975, j’ai rendu visite six fois à Nelson Mandela dans sa cellule à Robben Island, en EST (entretien sans témoin) selon la formule du CICR dont j’étais à l’époque délégué général pour l’Afrique. (Vous trouverez le récit de ces visites sur le site de la Nelson Mandela Foundation). Lors de notre entretien du 1er juin 1974 (le quatrième sur six en trois ans), nous avons discuté, entre autres, des problèmes graves que lui causait un officier «censeur» de son courrier par la façon sadique utilisée pour censurer les lettres de sa femme. Je m’étonnais de l’équanimité dont le détenu témoignait à l’égard de son «tortionnai­re moral». Réponse du détenu, futur président de la République sud-africaine et bien loin de cet objectif en cette année-là: «La haine ne sert à rien. C’est un sentiment autodestru­ctif car il ne fait de mal qu’à celui qui hait»!!!

Le 27 août 1990, nous nous sommes retrouvés à Oslo, lui désormais homme libre et candidat à la présidence de son pays, à une réunion de Prix Nobel (le CICR a reçu trois fois le Prix Nobel de la paix et Henry

Dunant en a reçu le premier), organisée par Elie Wiesel, la première ministre Gro Harlem Brundtland et François Mitterrand, sur le thème «L’anatomie de la haine». Les hasards de l’alphabet nous avaient assis côte à côte Mandela et moi, Mitterrand étant resté à la tribune! Répondant à Byron Hove, alors président de la Croix-Rouge du Zimbabwe, qui s’étonnait de l’absence de haine de «Madiba» dans son discours et ses attitudes, Mandela répondit à nouveau par les mots prononcés seize ans plus tôt dans la solitude partagée de sa cellule: «La haine ne nuit qu’à celui qui hait.» Et d’ajouter: «Nous combattron­s sans fin les graines de la haine où qu’elles soient. C’est dans cet esprit que nous sommes venu à Oslo. C’est l’esprit qui nous a soutenu pendant les nombreuses années solitaires de notre emprisonne­ment. C’est l’esprit qui constituer­a la base de notre nouvelle société.» Cette persistanc­e de la volonté de Mandela, déjà dans sa prison et jusqu’à sa présidence, à refuser de haïr aura – à mon avis – évité les pires désordres à l’Afrique du Sud au moment de son arrivée au pouvoir.

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