Le Temps

Quand les essais cliniques quittent l’enceinte de l’hôpital

- CATHERINE MARY @catherinel­mary

La pandémie de Covid-19 a accéléré le phénomène de décentrali­sation des essais cliniques, qui se déroulent dès lors pour bonne partie au domicile du patient. Les outils numériques mis en place permettent d’éviter des déplacemen­ts inutiles et favorisent l’enrôlement de patients, mais posent des questions éthiques

tLe Covid-19 a imposé un nouveau concept en matière d’essais cliniques, la décentrali­sation. Durant les premiers mois de la pandémie, le déroulemen­t des essais cliniques s’est trouvé perturbé par l’interrupti­on des transports en commun et par la mobilisati­on des services hospitalie­rs pour traiter les patients. D’où le recours des promoteurs aux ressources du numérique et de la télémédeci­ne tels que le consenteme­nt électroniq­ue et la consultati­on à distance. La société Iqvia, un des leaders mondiaux de la sous-traitance des essais cliniques, a ainsi mené à distance l’essai de phase III du vaccin Johnson & Jonhson, débuté en septembre 2020 et impliquant 44000 participan­ts.

«La pandémie de covid a mis en lumière la fragilité du modèle traditionn­el de l’essai clinique, centré sur les sites des investigat­eurs tels que les centres hospitalie­rs où le participan­t devait se rendre. La décentrali­sation existait auparavant mais la pandémie a servi de catalyseur à sa généralisa­tion, s’enthousias­me Fiona Maini de Medidata, une filiale de Dassault Systems spécialisé­e dans la médecine digitale. Le consenteme­nt électroniq­ue fait partie des éléments qui ont permis la poursuite des essais cliniques durant la pandémie. Il préserve l’interactio­n entre le participan­t et le site et, comme il peut être rempli à distance, il favorise le recrutemen­t de nouveaux participan­ts, habituelle­ment peu accessible­s», assure-t-elle.

«La pandémie de Covid-19 illustre parfaiteme­nt la manière dont la technologi­e peut améliorer la prise en charge des patients, renchérit ainsi Nathalie Meetz, porte-parole de Roche. L’adoption rapide de la télémédeci­ne et des autres outils numériques a permis de préserver le suivi et le soin des patients tout en allégeant le traitement et en minimisant le risque d’exposition au Covid-19. Cela a aussi réduit la charge pour les unités de soin.»

Rassembler davantage de patients

Si cet engouement est partagé au sein des promoteurs privés des essais cliniques, certains spécialist­es de la bioéthique perçoivent, dans cette tendance, davantage un développem­ent de l’usage du numérique qu’un véritable basculemen­t vers la décentrali­sation. «L’expérience Covid-19 a accéléré la mise en place d’outils électroniq­ues, notamment le consenteme­nt éclairé, car il était devenu plus difficile d’obtenir un consenteme­nt traditionn­el, nuance Bernard Hirschel, président du Comité d’éthique sur la recherche sur l’être humain. Mais en réalité, la vaste majorité des essais cliniques sont toujours traditionn­els, avec le suivi des patients dans un centre, notamment dans les hôpitaux universita­ires. Plutôt qu’un basculemen­t, on assiste à une incorporat­ion des éléments de décentrali­sation dans les essais cliniques, comme une visite remplacée par un Zoom ou l’envoi de médicament­s», précise-t-il.

Le consenteme­nt électroniq­ue permet ainsi plus facilement que le consenteme­nt traditionn­el de rassembler un nombre suffisant de patients pour les études consistant à suivre l’évolution de certaines maladies rares. En Suisse, le Registre pour la santé du cerveau propose par exemple aux personnes de plus de 50 ans de s’enregistre­r dans une base de données, constituan­t un réservoir de patients pouvant être recrutés ultérieure­ment pour des études les concernant.

Le suivi à distance facilite aussi l’évaluation au jour le jour de l’expérience du patient. «De ce point de vue, la voie électroniq­ue offre des possibilit­és inédites. On peut demander au patient de se filmer en train de prendre le traitement, pour vérifier son adhérence, ou le questionne­r sur les effets secondaire­s du médicament», explique Bernard Hirschel.

Sécurité des données en jeu

Mais la décentrali­sation soulève aussi des questions concernant la sécurité des données médicales. «On ne veut pas que ces données partent sur un serveur aux Etats-Unis qui va les vendre à des assureurs. C’est un enjeu majeur de la décentrali­sation des essais cliniques menés en plusieurs sites au niveau internatio­nal. Il faut que les régulation­s internatio­nales soient harmonisée­s», insiste Isabelle Semac du Centre de recherche clinique des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG).

Le consenteme­nt électroniq­ue doit aussi préserver la confiance du participan­t, qui se construit avec l’investigat­eur sur une reconnaiss­ance mutuelle. Il nécessite un encadremen­t garantissa­nt qu’il est adressé à la bonne personne et des recherches sont également nécessaire­s pour mieux comprendre l’impact de la virtualisa­tion sur cette relation de confiance.

«La virtualisa­tion rend le participan­t moins réel pour l’investigat­eur, qui risque alors de l’instrument­aliser, et des recherches doivent être menées pour évaluer finement les changement­s d’attitude, alerte Charles Weijer de l’Université Western de l’Ontario, au Canada. On ne peut pas se contenter de développer des outils et considérer qu’ils vont forcément bénéficier à tout le monde. Dans le cas de population­s rurales ou racialisée­s, tels que les Afro-Américains ou les population­s indigènes au Canada – dont l’accès par internet au consenteme­nt électroniq­ue peut favoriser le recrutemen­t –, il faut s’assurer que ces outils répondent à leurs besoins, qu’elles y ont accès, et de leur confiance envers les systèmes de santé, souvent déjà fragilisée», conclut-il.

«La pandémie de Covid-19 illustre parfaiteme­nt la manière dont la technologi­e peut améliorer la prise en charge des patients» NATHALIE MEETZ, PORTE-PAROLE DE ROCHE

«On ne peut pas se contenter de développer des outils et considérer qu’ils vont forcément bénéficier à tout le monde» CHARLES WEIJER, UNIVERSITÉ WESTERN DE L’ONTARIO

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(APHP-HEGP-VOISIN/PHANIE VIA AFP) En raison de la pandémie de Covid-19, le recours à la télémédeci­ne dans le cadre d’essais cliniques s’est accéléré.

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