Quand les essais cliniques quittent l’enceinte de l’hôpital
La pandémie de Covid-19 a accéléré le phénomène de décentralisation des essais cliniques, qui se déroulent dès lors pour bonne partie au domicile du patient. Les outils numériques mis en place permettent d’éviter des déplacements inutiles et favorisent l’enrôlement de patients, mais posent des questions éthiques
tLe Covid-19 a imposé un nouveau concept en matière d’essais cliniques, la décentralisation. Durant les premiers mois de la pandémie, le déroulement des essais cliniques s’est trouvé perturbé par l’interruption des transports en commun et par la mobilisation des services hospitaliers pour traiter les patients. D’où le recours des promoteurs aux ressources du numérique et de la télémédecine tels que le consentement électronique et la consultation à distance. La société Iqvia, un des leaders mondiaux de la sous-traitance des essais cliniques, a ainsi mené à distance l’essai de phase III du vaccin Johnson & Jonhson, débuté en septembre 2020 et impliquant 44000 participants.
«La pandémie de covid a mis en lumière la fragilité du modèle traditionnel de l’essai clinique, centré sur les sites des investigateurs tels que les centres hospitaliers où le participant devait se rendre. La décentralisation existait auparavant mais la pandémie a servi de catalyseur à sa généralisation, s’enthousiasme Fiona Maini de Medidata, une filiale de Dassault Systems spécialisée dans la médecine digitale. Le consentement électronique fait partie des éléments qui ont permis la poursuite des essais cliniques durant la pandémie. Il préserve l’interaction entre le participant et le site et, comme il peut être rempli à distance, il favorise le recrutement de nouveaux participants, habituellement peu accessibles», assure-t-elle.
«La pandémie de Covid-19 illustre parfaitement la manière dont la technologie peut améliorer la prise en charge des patients, renchérit ainsi Nathalie Meetz, porte-parole de Roche. L’adoption rapide de la télémédecine et des autres outils numériques a permis de préserver le suivi et le soin des patients tout en allégeant le traitement et en minimisant le risque d’exposition au Covid-19. Cela a aussi réduit la charge pour les unités de soin.»
Rassembler davantage de patients
Si cet engouement est partagé au sein des promoteurs privés des essais cliniques, certains spécialistes de la bioéthique perçoivent, dans cette tendance, davantage un développement de l’usage du numérique qu’un véritable basculement vers la décentralisation. «L’expérience Covid-19 a accéléré la mise en place d’outils électroniques, notamment le consentement éclairé, car il était devenu plus difficile d’obtenir un consentement traditionnel, nuance Bernard Hirschel, président du Comité d’éthique sur la recherche sur l’être humain. Mais en réalité, la vaste majorité des essais cliniques sont toujours traditionnels, avec le suivi des patients dans un centre, notamment dans les hôpitaux universitaires. Plutôt qu’un basculement, on assiste à une incorporation des éléments de décentralisation dans les essais cliniques, comme une visite remplacée par un Zoom ou l’envoi de médicaments», précise-t-il.
Le consentement électronique permet ainsi plus facilement que le consentement traditionnel de rassembler un nombre suffisant de patients pour les études consistant à suivre l’évolution de certaines maladies rares. En Suisse, le Registre pour la santé du cerveau propose par exemple aux personnes de plus de 50 ans de s’enregistrer dans une base de données, constituant un réservoir de patients pouvant être recrutés ultérieurement pour des études les concernant.
Le suivi à distance facilite aussi l’évaluation au jour le jour de l’expérience du patient. «De ce point de vue, la voie électronique offre des possibilités inédites. On peut demander au patient de se filmer en train de prendre le traitement, pour vérifier son adhérence, ou le questionner sur les effets secondaires du médicament», explique Bernard Hirschel.
Sécurité des données en jeu
Mais la décentralisation soulève aussi des questions concernant la sécurité des données médicales. «On ne veut pas que ces données partent sur un serveur aux Etats-Unis qui va les vendre à des assureurs. C’est un enjeu majeur de la décentralisation des essais cliniques menés en plusieurs sites au niveau international. Il faut que les régulations internationales soient harmonisées», insiste Isabelle Semac du Centre de recherche clinique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Le consentement électronique doit aussi préserver la confiance du participant, qui se construit avec l’investigateur sur une reconnaissance mutuelle. Il nécessite un encadrement garantissant qu’il est adressé à la bonne personne et des recherches sont également nécessaires pour mieux comprendre l’impact de la virtualisation sur cette relation de confiance.
«La virtualisation rend le participant moins réel pour l’investigateur, qui risque alors de l’instrumentaliser, et des recherches doivent être menées pour évaluer finement les changements d’attitude, alerte Charles Weijer de l’Université Western de l’Ontario, au Canada. On ne peut pas se contenter de développer des outils et considérer qu’ils vont forcément bénéficier à tout le monde. Dans le cas de populations rurales ou racialisées, tels que les Afro-Américains ou les populations indigènes au Canada – dont l’accès par internet au consentement électronique peut favoriser le recrutement –, il faut s’assurer que ces outils répondent à leurs besoins, qu’elles y ont accès, et de leur confiance envers les systèmes de santé, souvent déjà fragilisée», conclut-il.
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«La pandémie de Covid-19 illustre parfaitement la manière dont la technologie peut améliorer la prise en charge des patients» NATHALIE MEETZ, PORTE-PAROLE DE ROCHE
«On ne peut pas se contenter de développer des outils et considérer qu’ils vont forcément bénéficier à tout le monde» CHARLES WEIJER, UNIVERSITÉ WESTERN DE L’ONTARIO