Des poètes sur la route
ttEntre Brigue et Sierre, mercredi, 16h. «Vous voulez savoir ce qui a changé ces vingt dernières années en Valais? Je vais vous dire ce qui n’a pas changé!» Inutile de vous dire qui m’a dit cela. Ils sont plusieurs. Et leur réponse à cette question que je n’ai jamais posée est toujours la même: l’absence de tronçon autoroutier entre Sierre et Brigue, serpent de mer qui suscite autant d’agacement que de dérision. Notamment parce qu’il semble finalement plus facile de creuser un tunnel ferroviaire au Lötschberg que de construire une autoroute pour rallier le Haut-Valais. Le sujet est pourtant à l’agenda depuis une éternité. Depuis les années 1960, ce tronçon fait partie du plan du réseau autoroutier en Suisse, souligne un de nos interlocuteurs qui ne cache pas son étonnement devant les complications qu’a suscitées (et suscite toujours) ce tronçon. Certains morceaux ont déjà été construits, certains sont même utilisables. Quelques-uns, comme on a pu le constater aux environs de Rarogne, sont en train d’être bâtis. Mais la planification a changé plusieurs fois, faisant passer le projet d’un côté puis de l’autre de la vallée à plusieurs reprises. Des oppositions de particuliers ou d’organisations environnementales ont aussi ralenti le processus, tandis que des aspects techniques et géologiques – beaucoup de tunnels sont nécessaires – ont aussi complexifié les constructions. «Un jour, peut-être dans vingt ans, tout sera construit. Ou pas!» conclut en rigolant un Valaisan…
Entre Rarogne et Sierre, jeudi, 10h30. En coup de vent, je me suis invité chez Rainer Maria Rilke. L’écrivain m’attend dans une maison patricienne. Il n’y a jamais habité, il avait sa tour pas loin sur les hauteurs, au château de Muzot, son verger et ses rosiers, ses élégances, ses chapeaux et ses flâneries. Mais il est partout présent, grâce à Brigitte Duvillard, traductrice aux yeux azur ardents qui dirige la Fondation Rilke. C’est elle qui me guide. Je traverse les salles qui sont autant de stations valaisannes dans la vie d’un cosmopolite qui dans l’infime révélait l’infini. Le hasard a des politesses: Brigitte Duvillard organise ce soir-là une promenade poétique dans le Petit Bois à Sierre. A ses côtés, un entomologiste merveilleux évoque le destin des lucanes cerfsvolants qui ont leurs habitudes ici. Sur ma selle, le lendemain, j’ai ma foucade. J’impose à mes camarades, Anouch et Mathilde, un crochet par Rarogne, là où Rainer Maria Rilke repose. «Rilke-Dorf»,
indique d’ailleurs le panneau. Pas âme qui chante pourtant sur le chemin de croix qui conduit à l’église. Le décor n’a pas changé, jurerait-on, depuis ce 2 janvier 1927 où il était inhumé ici même à 51 ans. La même bâtisse hostile veille sur le cimetière, le même clocher. Je cherche la tombe de Rilke (photo).
Elle ne figure pas au répertoire. Je fais le tour de l’église et je la découvre adossée au mur, désarmante avec sa croix de bois et sa poignée de boutons de rose. Sur la pierre, une épigramme à moitié effacée. Pas de génuflexion ici, ni gloire de pacotille. Mais le vent mauvais et des sentiers escarpés qui cisaillent la montagne. L’enfance des poètes…
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