L’historien qui faisait parler les archives de la finance
En 1991, les Documents diplomatiques suisses (DDS), vaste entreprise historique, publient leur volume XIII qui porte sur la période 1939-1940. Lors de la conférence de presse convoquée pour l’occasion, un seul journaliste se pointe: François Gross, pour La Liberté. Jean-François Bergier et Marc Perrenoud, les deux historiens responsables de ce volume, devisent ensuite au bistrot: «Il y a pourtant quelques faits dans ces documents qui méritent une plus grande attention du public et de quoi susciter des recherches.» L’anecdote était évoquée vendredi au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel par Marc Perrenoud à l’occasion d’une soirée en son honneur pour son départ à la retraite. Six ans plus tard, en pleine crise dite des «fonds en déshérence», Jean-François Bergier est propulsé à la présidence de la Commission indépendante d’experts Suisse-Seconde Guerre mondiale (CIE), aussitôt renommée «Commission Bergier» par les médias. Sous la pression internationale, la Suisse officielle doit faire un effort de mémoire et défricher ce passé aussitôt enfui après la fin de la guerre. Marc Perrenoud est appelé par Jean-François Bergier pour en être le conseiller scientifique. «Le moment est venu de passer aux actes», explique alors le célèbre professeur au chercheur. En cinq ans, ils vont produire, avec une large équipe d’historiens, un nombre impressionnant d’études qui vont renouveler en profondeur la compréhension du rôle de la Suisse durant ce conflit. L’intérêt public est sans précédent. Ces travaux tombent pourtant à leur tour dans l’oubli, ou presque, par un nouveau déni politique. Jean-François Bergier voyait en Marc Perrenoud son fils spirituel. Par une étrange ironie, ce Neuchâtelois aux identités multiples d’abord intéressé par le récit de «ceux d’en bas» et les mouvements sociaux va se retrouver au coeur des deux entreprises historiques qui vont lever le voile sur «ceux d’en haut» (décideurs politiques et économiques): les DDS et la CIE. Un parcours remarquable dont témoigne un livre d’hommage réunissant plusieurs de ses textes. L’occasion de reconnaître enfin à sa juste valeur une précieuse contribution.