Percée à Genève en faveur d’un nouvel instrument légal contre les pandémies
C’est dans un contexte sanitaire explosif que s’ouvre ce lundi à Genève, jusqu’au 1er décembre, une session spéciale de l’Assemblée mondiale de la santé (AMS), l’organe de décision suprême de l’OMS. Preuve que l’heure est grave: il faut remonter au décès du directeur de l’OMS Lee Jongwook pour que l’AMS convoque une session extraordinaire. L’enjeu de la conférence est à la hauteur des défis que la planète doit relever pour mieux gérer l’émergence de pandémies à l’avenir.
Epreuve de vérité
Si plusieurs réformes de l’OMS seront débattues, il sera avant tout question de la création d’un instrument contraignant pour combler les lacunes constatées dans la riposte internationale à la pandémie de Covid-19. Celle-ci l’a démontré: le Règlement sanitaire international (RSI) de l’OMS, qui impose aux 194 Etats membres de l’OMS certaines obligations – dont celle de communiquer au plus vite l’émergence d’une épidémie –, est dépassé et loin de couvrir tous les besoins en cas de crise sanitaire d’envergure mondiale.
Dimanche, les Etats membres ont réussi à obtenir un consensus sur un texte ouvrant un processus de négociation. La résolution devrait être votée par l’AMS mercredi. En charge du dossier santé à la Mission du Chili auprès de l’ONU à Genève, Ricardo Matute, dont le pays codirige les négociations pour aboutir à une résolution devant l’AMS, se dit ravi de cette évolution qui n’était pas gagnée d’avance: «Le texte prévoit qu’un organisme intergouvernemental de négociation (INB) prépare les éléments pour un nouvel instrument en fonction de l’article 19 de la Constitution de l’OMS. Il a jusqu’à la fin août 2022 pour décider de la nature de l’instrument.» Il pourrait s’agir d’un traité, d’une convention-cadre sur le modèle de celle conclue par l’OMS pour la lutte antitabac, voire d’un autre instrument contraignant.
«La politique n’a pas été à la hauteur»
«C’est une épreuve de vérité, relève Suerie Moon, codirectrice du Global Health Centre de l’Institut de hautes études internationales et du développement. Or, ce n’est pas qu’on ne sache pas ce qu’il faut faire. Plusieurs groupes d’experts ont émis de nombreuses recommandations. La principale barrière pour renforcer la santé mondiale n’est donc pas le manque d’expertise, mais de volonté politique. On aurait d’ailleurs déjà pu agir en 2020.»
Présidente du Global Health Centre, Ilona Kickbusch le souligne: «La pandémie est l’un des défis les plus colossaux de notre époque, mais la politique n’a pas été à la hauteur.» Egalement membre du Conseil mondial de suivi de la préparation aux pandémies (GPMB), un organisme conjoint de l’OMS et de la Banque mondiale, elle déplore que la crise du Covid19 ait donné lieu à une rivalité entre puissances qui ont cherché à l’exploiter pour leur propre avantage: il en a résulté un nationalisme du vaccin et un contrôle national étroit des chaînes d’approvisionnement.
Santé interconnectée
Un traité permettrait de combler plusieurs graves lacunes du RSI: le partage transparent de données génétiques relatives à un virus, la question de l’approvisionnement en équipements, l’accès aux vaccins, aux traitements thérapeutiques et aux diagnostics. Pour Ilona Kickbusch, un tel instrument contraignant constituerait un fort soutien politique et symbolique à l’OMS puisqu’il impliquerait non seulement des ministres de la Santé, mais aussi les gouvernements dans leur globalité. Il permettrait de traiter des questions de propriété intellectuelle relatives aux vaccins et médicaments, et de mettre en oeuvre la notion d’«Une seule santé», à savoir que la santé des animaux, celles des humains et des écosystèmes sont interconnectées.
Dans une géopolitique très mouvante où les équilibres changent, la santé est devenue l’otage de ces nouvelles batailles d’influence sur l’ordre mondial. Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus est catégorique: «Le chaos qu’on vit actuellement ne fait que souligner la nécessité d’un accord global robuste pour établir les règles du jeu en matière de préparation et de riposte à une pandémie.» Ricardo Matute, responsable de la santé au sein de la Mission du Chili à l’ONU, a une autre raison de se réjouir: «Tous les Etats sont d’accord de mettre la question de l’équité au coeur des négociations à venir.» Equité d’accès aux vaccins, aux médicaments, équité relative à la propriété intellectuelle. Un enjeu crucial au vu du fossé béant qui perdure aujourd’hui entre le Nord et le Sud.
«Tous les Etats sont d’accord de mettre la question de l’équité au coeur des négociations à venir» RICARDO MATUTE, RESPONSABLE DU DOSSIER SANTÉ À LA MISSION DU CHILI AUPRÈS DE L’ONU À GENÈVE
Quel format?
L’Union européenne a investi beaucoup de capital politique dans la question, promouvant dès le printemps 2020 l’idée d’un traité contraignant. Quelque 70 pays sont favorables à un traité. Russes et Chinois, qui ont été «constructifs» au cours des négociations, ne sont pas fixés sur le format de ce futur instrument. Quant aux Etats-Unis, ils ont longtemps été vus comme un obstacle pour aller de l’avant. Pour eux, définir d’emblée qu’il faut un traité est une ligne rouge. Une manière de prendre en compte l’extraordinaire difficulté politique que représenterait sa ratification par le Sénat. Mais Washington est ouvert à l’engagement d’un processus qui aboutira à «un instrument efficace qui aura le maximum d’impact sur le terrain». Au G20 de Rome, les Américains n’ont toutefois pas été suivis dans leur volonté de créer un nouveau mécanisme de financement de l’OMS lié à la Banque mondiale. Une proposition qui a été perçue comme une volonté de maintenir le contrôle sur un tel mécanisme.
Lors d’une conférence tenue mercredi dernier à Genève, la présidente du G2H2, le Geneva Global Health Hub, Nicoletta Dentico garde un esprit critique: «Le Covid-19 l’a montré: la réponse à donner n’est pas que de nature sanitaire, elle est systémique.» Elle se réjouit des discussions, mais elle souligne les incohérences: «Prenez l’UE. Elle plaide d’un côté pour un traité contraignant, mais de l’autre, elle bloque toute avancée sur la levée des brevets. Or si on veut changer les choses, c’est tout le système qui doit être revisité.» ■
Un traité permettrait de combler plusieurs graves lacunes du Règlement sanitaire international