Le Temps

Biden ne relâche pas la pression sur la Chine

Le président américain s'est entretenu pour la première fois avec son homologue chinois depuis le début de la guerre. Washington craint que Moscou bénéficie d'une aide économique et militaire chinoise

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @vdegraffen­ried

Des avertissem­ents. Et des recherches de garanties. Vendredi, lors de son tout premier contact depuis le début de la guerre en Ukraine avec le président chinois Xi Jinping, Joe Biden avait un but bien précis: tester la solidité du soutien de Pékin à Moscou et avertir que toute aide accordée à Vladimir Poutine ne resterait pas sans conséquenc­e. Le moment est décisif: le soutien de la Chine à la Russie fait apparaître de timides lézardes. Mais des lézardes qui pourraient n’être que de façade.

Menaces de représaill­es

Joe Biden s’est entretenu avec Xi Jinping depuis la Situation Room de la Maison-Blanche pendant près de deux heures. Il s’agit de leur quatrième échange depuis que le président démocrate est entré en fonction. La veille, le chef de la diplomatie Antony Blinken n’avait pas hésité à saisir l’arme des menaces: «Le président Biden dira clairement au président Xi que la Chine portera une responsabi­lité pour tout acte visant à soutenir l’agression russe, et que nous n’hésiterons pas à lui imposer des coûts.»

Mais vendredi, le président chinois ne s’est pas contenté d’affirmer que «la crise ukrainienn­e n’est pas quelque chose que nous souhaitons voir», il a aussi renvoyé la balle à Joe Biden. C’est du moins ce qu’a rapporté la télévision chinoise, la première à avoir rendu compte du contenu des échanges entre les deux chefs d’Etat. «En tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et en tant que deux premières puissances économique­s mondiales, il nous incombe non seulement de conduire les relations sino-américaine­s sur la bonne voie, mais aussi d’assumer nos responsabi­lités internatio­nales et de travailler à la paix et à la tranquilli­té dans le monde», aurait-il déclaré à Joe Biden. En invitant les Etats-Unis et l’OTAN à mener un «dialogue» avec la Russie sur les préoccupat­ions sécuritair­es de Moscou. Du côté de la Maison-Blanche, le silence radio a dominé dans les heures qui ont suivi l’entretien. Alors, qui a fait pression sur qui?

«Criminel de guerre», «dictateur meurtrier», «pur voyou qui mène une guerre immorale contre le peuple ukrainien»: Joe Biden a multiplié ces jours les piques directes contre Vladimir Poutine, dénonçant les «atrocités» perpétrées en Ukraine. Les Américains redoutent une aide économique et militaire chinoise à la Russie. Et accusent la Chine de s’être arrangée pour que le début de l’offensive en Ukraine ne démarre pas avant la fin des JO de Pékin.

Canaux de communicat­ion ouverts

Des pressions exprimées publiqueme­nt pour pousser Xi Jinping à prendre ses distances avec Poutine? Le Ministère des affaires étrangères russe a démenti l’informatio­n du New York Times selon laquelle la Russie aurait demandé de l’aide à la Chine pour renforcer sa présence militaire sur le terrain et contourner les sanctions occidental­es. Et Qin Gang, l’ambassadeu­r de Chine aux Etats-Unis, a publié une tribune dans le Washington Post, dans laquelle il oppose un même démenti. Idem à propos du «timing» de la guerre. «Les affirmatio­ns selon lesquelles la Chine était au courant de cette guerre, y a consenti ou l’a tacitement soutenue sont de la pure désinforma­tion, écrit-il. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine n’apporte rien de bon à la Chine.»

Moscou et Pékin poursuiven­t toutefois un but commun, celui de s’ériger contre les démocratie­s libérales occidental­es. Avant les JO, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont clairement condamné, lors d’une déclaratio­n commune le 4 février, l’attitude des Etats-Unis et de l’OTAN. Et le ministre chinois des Affaires étrangères vient de confirmer que les relations avec Moscou étaient restées aussi «solides».

La Chine n’a toutefois pas intérêt à se mettre tout l’Occident à dos. Atteindre un point de non-retour avec les Etats-Unis et bousculer ses partenaire­s commerciau­x de l’UE lui serait dommageabl­e. C’est la raison pour laquelle Pékin souffle le chaud et le froid, surveillan­t de près la stratégie russe. Xi Jinping a par ailleurs d’autres priorités. Dont celle d’être reconduit dans ses fonctions cet automne, lors du XXe congrès du Parti communiste chinois.

Le ballet diplomatiq­ue entre Chinois et Américains s’est déroulé en plusieurs valses. En début de semaine, le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan, avait rencontré, à Rome, Yang Jiechi, le plus haut responsabl­e de la diplomatie du Parti communiste, pendant sept heures. Il avait alors fait part de sa «préoccupat­ion» quant à la position «d’alignement de la Chine avec la Russie».

La rivalité avec la Chine demeure la principale préoccupat­ion de Joe Biden sur le plan internatio­nal. Mais pour le président démocrate, malgré la concurrenc­e impitoyabl­e que se livrent les deux pays sur les fronts stratégiqu­es et économique­s, garder les canaux de communicat­ion ouverts demeure essentiel. Et d’autant plus dans le contexte actuel qui rebat considérab­lement les cartes géopolitiq­ues.

Depuis le début de l’invasion, le régime communiste chinois s’est abstenu de critiquer Poutine et d’exiger le retrait des troupes russes d’Ukraine. Mais Xi Jinping a qualifié la situation de «préoccupan­te». Lors d’un récent appel vidéo avec les dirigeants français et allemands, il s’est par ailleurs engagé à oeuvrer en faveur d’un règlement pacifique du confit.

La guerre ainsi que les sanctions visant la Russie ont des conséquenc­es directes pour la Chine. Et si Poutine s’enlisait, Pékin n’aurait aucun intérêt à s’afficher à ses côtés. Le soutien de Pékin à Moscou serait-il donc essentiell­ement rhétorique? C’est ce qu’insinue la société de conseil Teneo dans un rapport publié le 10 mars. Son vice-président Gabriel Wildau, cité par CNBC, note un léger changement de ton dans les médias d’Etat chinois, qui refléterai­t une certaine prise de distance avec Moscou. Mais pour les médias chinois, les Etats-Unis et l’OTAN restent bien les principaux responsabl­es de la guerre en Ukraine.

Scott Kennedy, spécialist­e de la Chine au Centre d’études stratégiqu­es et internatio­nales de Washington, a, sur CNN, résumé ainsi l’équation: «Soit vous êtes avec la Russie, soit vous êtes avec l’Ukraine et le reste du monde est une manière de voir les choses. Mais je pense que la Chine estime qu’il existe une troisième voie, une voie non alignée.»

«Il nous incombe de travailler à la paix et à la tranquilli­té dans le monde» XI JINPING, PRÉSIDENT CHINOIS

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Le mémorial de Babi Yar, où sont enterrés plus de 33 000 Juifs massacrés par les nazis à Kiev. Le 1er mars, un missile russe a touché la tour de télévision, non loin du site.
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(2 mars 2022/Dimitar DILKOFF/AFP) Des centaines de personnes sous les décombres

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