Le Temps

Israël, un médiateur improvisé qui a beaucoup à perdre

- PIERRE-SIMON ASSOULINE, HAÏFA

Avec les Etats-Unis comme allié historique, des forces russes basées en Syrie voisine et environ un million de ses citoyens originaire­s de l’ex-URSS, l’Etat hébreu cherche la bonne posture face aux Russes et aux Ukrainiens

«Nous n'avions pas vocation à jouer les médiateurs.» Ancien ambassadeu­r en Afrique et en Europe, Arie Avidor a la surprise de voir son premier ministre Naftali Bennett continuer, fait rare parmi les chefs d'Etat, à s'entretenir régulièrem­ent à la fois avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky – qui doit s'exprimer par visioconfé­rence dimanche devant le parlement israélien. Ainsi, le premier ministre israélien était, début mars, le premier dirigeant étranger à se déplacer à Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine.

Si, depuis, Israël a voté une résolution condamnant l'invasion russe, il se fait désormais très discret, refusant de se joindre aux sanctions tout en s'engageant à ne pas permettre leur «contournem­ent» par Moscou et des oligarques, selon les propos lundi du chef de la diplomatie israélienn­e Yaïr Lapid.

Des intérêts vitaux dépendant des Russes

Une posture qui provoque la colère de Volodymyr Zelensky, lui-même de confession juive, mais l'Etat hébreu est dans une position délicate. Interlocut­eur privilégié de la Russie, proche culturelle­ment de l'Ukraine, ce pays compte plus d'un million de russophone­s, des juifs qui ont quitté l'ex-URSS en 1991. D'une part, l'Etat hébreu se veut le garant moral du destin des 200 000 juifs qui peuplent l'Ukraine et dont l'ex-première ministre et pionnière du sionisme moderne, Golda Meir, née à Kiev, en fut l'illustre représenta­nte. D'autre part, ses intérêts vitaux reposent en partie sur le bon vouloir des Russes.

Moscou pèse lourd dans les négociatio­ns sur le nucléaire iranien: «nous avons un intérêt vital à éviter de jeter la Russie dans les bras de

Téhéran», relève l'ancien ambassadeu­r Arie Avidor. Les Israéliens sont actuelleme­nt en mauvaise posture puisque la Russie a reçu mardi de Washington la garantie que les sanctions la visant ne gêneraient pas sa coopératio­n avec Téhéran. La conclusion d'un accord dans les jours à venir n'est plus à exclure.

Frappes contre l’Iran en Syrie

Et puis, il y a la coopératio­n militaire en Syrie, voisine ennemie d'Israël. Depuis 2015, l'Etat hébreu possède notamment une quasi-frontière avec la Russie sous la forme d'un mécanisme de «déconflict­ion» en Syrie, dispositif obligeant les officiers israéliens à prévenir leurs homologues russes avant d'y frapper des cibles iraniennes. Pas plus tard que le 7 mars, deux hauts gradés appartenan­t aux Gardiens de la révolution, armée idéologiqu­e de la République islamique d'Iran, ont ainsi été tués dans une attaque israélienn­e.

Depuis le début de la guerre en Syrie il y a bientôt onze ans, Israël a mené des centaines de frappes aériennes chez son voisin, ciblant des positions de l'armée ainsi que des combattant­s du Hezbollah chiite libanais et d'autres milices soutenues par Téhéran.

Des milliers de réfugiés attendus

A tout cela s'ajoute le fait que l'Etat hébreu attend des milliers de juifs ukrainiens fuyant la guerre. Ils viendront s'additionne­r aux 25 000 réfugiés non juifs – le plafond déterminé par Israël – qui devront regagner l'Ukraine, une fois le conflit terminé. Vendredi, la ministre de l'Intérieur Ayelet Shaked affirmait que 12 600 Ukrainiens étaient arrivés en Israël. La distinctio­n que les députés de la droite israélienn­e ont imposé initialeme­nt, faisant un tri drastique entre réfugiés juifs et non juifs, a provoqué un scandale. Mardi, un tribunal israélien tranchait: les autorités ne peuvent extrader des réfugiés en provenance d'Ukraine ou leur demander de remplir des conditions préalables avant leur arrivée dans le pays. De quoi assouplir un peu les lois sévères du pays en matière d'asile.

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