«En matière de durabilité numérique, l’Etat doit montrer l’exemple»
A l’occasion du Cyber World CleanUp Day, le canton et la ville de Genève s’allient pour sensibiliser la population à l’impact environnemental des activités en ligne
Genève s’engage à réduire ou, du moins, à stabiliser son empreinte numérique. Interview croisée des porteurs de cette politique publique: Serge Dal Busco, conseiller d’Etat chargé du Département des infrastructures et président de la Conférence latine des directeurs du numérique, et Sami Kanaan, chargé du Département de la culture et de la transition numérique de la ville de Genève.
Après un plan climat cantonal très ambitieux, vous vous attaquez désormais à décarboner le numérique? Serge Dal Busco:
Tout est parti d’un constat. Nous devons mener de front la transition numérique et écologique. Or la première a un impact négatif sur la seconde. Au niveau mondial, le numérique est responsable de plus de 4% des émissions de gaz à effet de serre et ce chiffre est probablement encore supérieur à Genève, canton tertiaire et fortement connecté.
Quel rôle a joué la pandémie dans cette prise de conscience? S. D. B.:
Elle a fait office à la fois d’accélérateur et de révélateur. Depuis le semi-confinement qui a servi de crash test, les prestations administratives délivrées à distance ont augmenté de 30%. Dans le même temps, la pandémie a montré l’ampleur de la fracture numérique. Beaucoup de gens sont perdus lorsqu’on leur parle de démarches en ligne. Il faut en tenir compte. Les guichets physiques existent toujours mais il faut penser à créer un réseau d’inclusion numérique pour que personne ne reste au bord du chemin.
Concrètement, comment réduire son empreinte numérique? Sami Kanaan:
Il faut agir à plusieurs niveaux: vider régulièrement sa boîte e-mail, limiter les pièces jointes, les photos et les impressions inutiles. On doit aussi prolonger la durée de vie des appareils électroniques et limiter autant que possible l’usage du streaming, qui représente 60% des dépenses énergétiques en ligne. A titre d’exemple, regarder un film en HD équivaut à envoyer 300 000 e-mails.
S. D. B.: Pour sensibiliser la population au coût écologique du numérique, l’Etat doit être exemplaire. C’est pourquoi le canton et la ville ont adhéré à l’Institut du numérique responsable suisse et à la charte qui s’y rapporte. Nous sommes actuellement dans un processus de labellisation qui peut durer un an.
Qu’est-ce que ça implique? S. D. B.:
L’un des buts est d’étendre la durée d’utilisation du matériel informatique (35000 ordinateurs à l’Etat et 4000 à la ville), qui est aujourd’hui de cinq ans en moyenne. Les machines qui ne servent plus sont reconditionnées et revendues pour être utilisées ailleurs. D’un point de vue organisationnel, on prévoit de relocaliser 2500 postes de travail sur le site de Firmenich à la Jonction avec un concept de smart office qui privilégie l’informatique nomade et limite les postes fixes individuels.
Quels objectifs fixez-vous? S. D. B. et S. K.:
Le cadre global reste le plan climat cantonal et municipal qui vise à réduire de 60% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Tous les domaines, y compris le numérique, doivent participer à ce virage. Etant donné que le secteur est en plein développement, l’objectif est de stabiliser voire de réduire légèrement l’empreinte carbone actuelle. D’un point de vue financier, les prestations numériques ont aussi un coût: pour chaque franc investi, il y a 20 centimes d’impact direct sur les coûts de fonctionnement.
S. K.: Il faut réussir à renverser la tendance: ce qui est branché, ce n’est pas d’avoir le modèle dernier cri mais de faire durer son téléphone.
Au-delà de l’empreinte du numérique, il y a les enjeux éthiques, de stockage des données ou encore de cybersécurité. Alors que les tentatives de hacking se sont multipliées ces derniers temps, Genève est-il à l’abri? S. D. B. et S. K.:
Personne n’est à l’abri. Nos serveurs subissent des tentatives de hacking au quotidien. Pour l’instant, notre stratégie de sécurité, coordonnée de manière conjointe pour le canton, la ville et les régies publiques, fonctionne. En cas d’incident, Genève a un plan de gestion de crise qui est en train d’être perfectionné.
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