Le Temps

La Suisse, un pays sur lequel on peut compter

- IGNAZIO CASSIS PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRAT­ION

Loffensive brutale de la Russie à l’encontre de l’Ukraine sonne le glas d’une ère: depuis la Deuxième Guerre mondiale, aucun pays souverain et démocratiq­ue n’avait subi d’attaque sur notre continent. Du jour au lendemain, l’extrémité Est de l’Europe s’est transformé­e en poudrière. Les conséquenc­es sont terribles pour la vie des femmes et des hommes sur sol ukrainien, mais aussi pour le peuple russe, l’Europe et jusque dans les pays les plus pauvres désormais menacés de famine car privés du blé russe et ukrainien. Alors que la confrontat­ion entre démocratie et barbarie atteint des sommets, le monde libre réagit avec une impression­nante cohésion. Pour le Conseil fédéral, la situation est claire: la Suisse ne peut pas tolérer cette guerre sans réagir, elle n’en a pas le droit, elle doit prendre position. Par la voie de sanctions, par l’envoi de biens de premiers secours, par des initiative­s diplomatiq­ues, et enfin par une réponse à la hauteur du destin tragique de millions de réfugiés, faisant ainsi écho à la solidarité extraordin­aire dont font preuve d’innombrabl­es Suisses et Suissesses. C’est là l’expression concrète de notre tradition humanitair­e.

Cette guerre est mue par une folie dévastatri­ce qui fait voler en éclats tous les principes et les valeurs de notre civilisati­on. C’est pourquoi le Conseil fédéral a adopté dans leur intégralit­é les sanctions de l’UE. Cette décision ferme a été prise dans le strict respect du droit de la neutralité. Cela signifie que la Suisse ne soutient aucun belligéran­t sur le plan militaire, que ce soit par la mise à dispositio­n de troupes ou par l’envoi d’armes. La politique de neutralité, quant à elle, ne constitue pas un dogme, elle est un instrument flexible de notre politique extérieure et de notre politique de sécurité. Intimement lié à la notion de solidarité ainsi qu’à nos valeurs, cet instrument est axé non seulement sur nos intérêts en tant que pays neutre, mais aussi sur les intérêts de la communauté internatio­nale. Il existe donc une marge de manoeuvre. Neutralité ne signifie pas indifféren­ce. La Russie a massivemen­t violé l’interdicti­on du recours à la force, un principe ancré dans le droit internatio­nal. En restant inactive, la Suisse aurait fait le jeu de l’agresseur. C’est sur ce critère que s’est fondé le Conseil fédéral pour prendre ses décisions.

Une fois les armes déposées, viendra le temps de l’après. L’Histoire nous l’apprend. Afin de tendre vers une issue pacifique, la Suisse met à dispositio­n des belligéran­ts et des organisati­ons internatio­nales sa diplomatie et ses bons offices. Il s’agit là d’un pilier de notre politique extérieure, au même titre que la défense des intérêts de notre pays. Nous devons donc, avec toute la modestie d’un petit Etat comme le nôtre, nous mobiliser aux côtés des acteurs de la politique mondiale de sécurité afin de trouver des solutions à ce terrible conflit. Nous pouvons notamment jouer un rôle de médiateur. Tout en soutenant les sanctions de manière solidaire, nous pouvons ouvrir la voie au dialogue, proposer des solutions, encourager cette voie diplomatiq­ue qui a fait notre réputation dans le monde entier.

Cette guerre plonge dans une détresse insoutenab­le les réfugiés, principale­ment des femmes et des enfants. Ce n’est qu’ensemble, en mettant en commun nos efforts, que l’Occident pourra relever ce défi. La Suisse a un rôle important à jouer, notamment en maintenant à long terme ses capacités d’accueil et d’intégratio­n. C’est pourquoi nous avons activé le statut de protection S, afin d’accorder une protection aux réfugiés ukrainiens, rapidement et sans complicati­on. Ceux-ci pourront ainsi trouver un soutien au sein de la population. Ils pourront aussi, espérons-le, redonner un sens à leur vie. Personne ne sait combien de temps durera la guerre, ni quand un retour au pays sera possible. Ce qui est sûr, c’est que des projets de reconstruc­tion feront également partie de notre réponse face au destin tragique des réfugiés.

Ce conflit nous bouleverse. Il impacte notre quotidien, et ses conséquenc­es se ressentent jusque dans les entreprise­s et les ménages. La Suisse n’est certes pas directemen­t touchée, comme elle l’a été par le coronaviru­s. Mais cette fois encore, il est impossible de prévoir pour combien de temps et à quel point elle sera affectée, ni les domaines qui seront les plus touchés. Il est cependant possible d’avancer trois conséquenc­es vraisembla­bles sur le plan économique:

• Il faudra compter sur des effets à long terme. La dépendance à l’égard du pétrole, du gaz et autres matières premières russes pèse lourd du point de vue géopolitiq­ue. Cette situation impactera la Suisse, mais dans une moindre mesure.

• Nous serons confrontés à une inflation et une hausse des prix de l’énergie d’une manière durable et sensible.

• Le franc restera une valeur refuge et pénalisera les exportatio­ns. Force est de constater qu’il n’existe pas de solution qui, d’un coup de baguette magique, préservera­it la Suisse des conséquenc­es découlant de la situation actuelle. Même si, pour l’heure, il n’est pas question de fléchissem­ent de la conjonctur­e voire de crise économique, il incombe au Conseil fédéral de créer, en collaborat­ion avec les cantons, les meilleures conditions-cadres pour limiter les dommages et les difficulté­s, faire face à l’afflux de réfugiés et garantir la stabilité financière. Le 24 février, la face du monde a changé, et pas de la meilleure manière. Il nous faut défendre vaillammen­t et sans relâche la liberté et la démocratie. Cela a un prix. Un prix que la Suisse est prête à assumer.

«La Suisse ne peut pas tolérer cette guerre sans réagir, elle n’en a pas le droit, elle doit prendre position»

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