Le Temps

Une autre Russie

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Le matin du 24 février, je me suis réveillé et j’ai immédiatem­ent compris que quelque chose n’allait pas. Mes parents étaient comme en état de choc et m’ont dit: «La guerre a commencé.» Pour moi, les guerres étaient quelque chose qui se passe quelque part au loin… Je ne me sentais pas concerné. Mais soudain cette guerre est devenue concrète, en Ukraine, où j’ai beaucoup d’amis. J’avais l’impression d’être dans un cauchemar.

Le deuxième jour de la guerre. Onze heures du soir. Je suis allongé sur le sol de ma chambre et je dessine minutieuse­ment des drapeaux russe et ukrainien sur une pancarte en carton, avec un coeur entre les deux. Demain, je vais aller à ma première manifestat­ion politique à Berne – contre la guerre en Ukraine. Je défile dans les rues de Berne avec une copine d’origine ukrainienn­e et ma pancarte. J’imagine que nous pourrons surmonter toutes les difficulté­s, peut-être même arrêter cette guerre! Mais cet espoir va bientôt disparaîtr­e. Le troisième jour de la guerre, je suis désespéré. Mes amis de Kharkiv, de Kiev et de Donetsk m’écrivent des messages. Ils ont peur… Ils entendent des explosions sous leurs fenêtres. Je passe des heures à lire des messages et à regarder des images et des vidéos terrifiant­es sur les médias sociaux. Des explosions, des maisons en feu, des soldats avec leurs entrailles étalées sur la chaussée, des enfants qui pleurent, des églises détruites… J’ai l’impression que c’est la fin du monde… Le quatrième jour de la guerre. Je suis en état de choc. Le président de la Russie a annoncé que les armes nucléaires devaient être mises en état d’alerte avancé… Je crains que bientôt notre planète ne soit plus qu’un terrain vague radioactif. Je m’approche de ma mère et lui dis presque en sanglotant: «Maman, j’ai honte d’être Russe!»

Je m’appelle Gleb, j’ai 16 ans, je suis Russe, je suis né à Moscou et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 12 ans, mais ensuite ma mère m’a emmené en Suisse. Au début, j’étais fâché contre elle, car je devais quitter mes amis, ma ville natale, ma patrie. Mais maintenant je comprends pourquoi nous sommes partis. Elle ne voulait pas que je vive dans le pays de Poutine. Alors que la guerre fait rage, ma mère me dit que je dois rester Russe et participer à la création d’une Russie alternativ­e en exil. De nombreux autres Russes, que je respecte, sont également contre la guerre et contre le dictateur Poutine, et aujourd’hui je pense qu’un jour nous pourrons nous racheter auprès de l’Ukraine et du monde, montrer qu’il existe une autre Russie… Pas aujourd’hui, pas demain, cela va prendre du temps mais dans le futur, on le pourra… Non à la guerre!

GLEB ZAYARSKI, 16 ANS, AVENCHES (VD)

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