Ukraine: une gauche désarmante et désarmée
Défense nationale hier, politique de sécurité aujourd’hui, quel que soit le nom qu’on lui donne, l’idée d’une défense armée a toujours été, depuis plus d’un siècle, un caillou dans la chaussure militaire de la gauche. Voilà pourquoi l’actuelle gauche rose-verte boîte lorsqu’elle est contrainte de justifier ses réticences, voire son opposition, à un renforcement de l’armée ou à l’achat d’appareils américains F-35. C’est donc une gauche roseverte embarrassée, sans ligne claire en matière de politique de sécurité, qui a tenté de s’expliquer cette semaine devant les Chambres fédérales lors des débats urgents. Si les deux partis veulent être audibles dans les débats qui vont s’ouvrir autour des conséquences à tirer de la guerre en Ukraine ou autour de l’initiative contre les F-35, il est urgent que le PS et les Vert·e·s sortent de l’ambiguïté et clarifient très rapidement leur position envers l’armée et la politique de sécurité. Car lors des débats sur l’Ukraine au Conseil de l’Europe, mardi, la délégation des socialistes suisses s’est surtout signalée par ses positions embrouillées.
Prise en charge des réfugiés, sécurité nucléaire, crise alimentaire, comme l’a relevé aux Etats le Genevois Carlo Sommaruga, il y a certes des priorités plus urgentes pour la Suisse que de songer à augmenter dès aujourd’hui le budget militaire mais le PS, embarrassé par l’objectif de suppression de l’armée inscrit dans son programme 2010, ne pourra longtemps éviter la confrontation avec son aile antimilitariste. Ou avec la turbulente Jeunesse socialiste. En 2017, son groupe parlementaire aux Chambres fédérales pouvait tant bien que mal se rallier à la plupart des thèses du conseiller national Pierre-Alain Fridez: armée de 60 000 hommes, troupes spéciales professionnelles, budget de 4 milliards de francs et des avions légers de police aérienne.
Mais le renouvellement de la députation en 2019, la montée des mouvements pacifistes au sein de la base militante, le score inespéré contre l’avion de combat ont changé la donne. Il est vrai que le pacifisme et l’antimilitarisme sont intimement liés à l’identité du PS depuis la Première Guerre mondiale. Jusqu’en 1935, les socialistes refusaient systématiquement les budgets militaires. Et il fallut que la gauche se rallie sans réserve à la défense nationale face au péril nazi pour que l’un des siens, Ernst Nobs, soit enfin élu au gouvernement en 1943.
Chez les Vert·e·s, pourra-t-on se satisfaire de répondre aux Suissesses et aux Suisses inquiets de la menace de guerre en Europe occidentale par le slogan «la politique de l’énergie, c’est la politique de sécurité»? Ou répéter que «la réponse la plus durable pour la Suisse reste la promotion de la paix, le désarmement, y compris nucléaire, et la défense du droit international». C’est se payer de mots, au vu des rapports de force dans le présent conflit. Pour autant que cela soit ouvertement assumé et en cohérence avec des engagements fermes, le pacifisme, le désarmement unilatéral ou la neutralité active au service de la paix sont pourtant des options défendables. Mais les Vert·e·s seront vite priés de dire quelle sera la contribution suisse pour s’abriter sous le parapluie de l’OTAN en passagers clandestins et ce que signifie concrètement, en prises de risques et en ressources, l’idée bien floue d’une «éventuelle collaboration avec d’autres pays démocratiques» ou une sécurité européenne. La gauche rose-verte suisse sera-telle la seule en Europe à repousser le moment de voir la réalité? Ou s’inspirera-t-elle des sociaux-démocrates de Finlande, de Suède ou du Danemark?
Le PS ne pourra longtemps éviter la confrontation avec son aile antimilitariste