Le Temps

Comment ne pas humilier la Russie de Poutine?

- NOUVELLES FRONTIÈRES FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Fuite en avant. Enlisement. Terreur. Le piège se referme sur Vladimir Poutine. Refusant de comprendre les Ukrainiens, le président russe a sous-estimé leur volonté de résistance. Ses troupes patinent, donc elles sabrent, frappant à l’aveugle des population­s civiles. Et c’est dans ces conditions d’échec militaire et de crimes de guerre à répétition que le dirigeant russe compte désormais arracher un accord à ceux qu’il appelle les «nazis» pour leur imposer une «neutralité»…

Il n’est pas impossible que Volodymyr Zelensky, face au martyre de son peuple, cède un jour à la force. On n’en est pas là. Et contrairem­ent à ce qu’affirme Moscou, dans une nouvelle tentative de diviser les Européens, les termes d’un accord sont loin d’être établis. Mais déjà on entend des voix pour affirmer dans un renverseme­nt des responsabi­lités qui peut surprendre que, cette fois-ci, il faudra prendre garde à ne pas humilier le président russe.

L’humiliatio­n est de fait au coeur de la rhétorique du Kremlin et du nationalis­me russe. Selon ce point de vue, l’«Occident» plutôt que de tendre la main après la chute de l’URSS aurait systématiq­uement poussé l’avantage afin d’affaiblir le peuple russe et le maintenir dans un état d’infériorit­é. L’OTAN n’aurait pas respecté ses promesses, les Etats-Unis n’auraient pas apporté d’aide économique, l’Europe n’aurait pas tenu compte des impératifs de sécurité. Comment voudriez-vous que la Russie ne réagisse pas? Si Moscou envahit l’Ukraine c’est, en définitive, la faute à l’Europe. Ou, pour reprendre les termes de Vladimir Poutine répondant à Joe Biden qui le qualifiait de «tueur», «c’est celui qui le dit qui l’est».

Il y a bien sûr quelques raisons pour Moscou d’en vouloir aux «Occidentau­x». Des erreurs ont été commises. Les maladresse­s ont été nombreuses. Mais, pour l’essentiel, ces accusation­s sont exagérées sinon infondées. Il s’agit surtout d’une posture ou plutôt d’une imposture. Ce discours n’en a pas moins fait beaucoup d’émules en Europe même, à l’extrême droite et à l’extrême gauche. Pas seulement. Le Kremlin a pu nourrir les sympathies dans le terreau des milieux anti-Européen et de l’anti-américanis­me.

L’humiliatio­n de la Russie est pourtant bien réelle. Mais elle est d’un tout autre ordre. Et elle n’est toujours pas surmontée. Elle repose sur une triple défaite.

Il y a d’abord la chute du communisme. Après 70 ans d’endoctrine­ment, le système s’est effondré de lui-même, par sa propre incurie. Comment a-t-on pu pareilleme­nt se tromper de cheval? Il y a ensuite l’éclatement de l’URSS et la dispersion de territoire­s qui étaient sous tutelle russe depuis le XIXe siècle. Pourquoi se séparer de Moscou après tant d’expérience­s communes? Il y a enfin tous ces Etats qui se bousculent pour se placer sous la protection de l’Europe et des Etats-Unis. Ne comprennen­t-ils pas qu’un grand ensemble de paix avec la Russie comme noyau serait dans leur véritable intérêt?

L’humiliatio­n ne vient pas de l’autre. Elle résulte d’une incapacité à susciter l’adhésion, à incarner l’espoir, à représente­r l’avenir. Voilà le drame. C’est l’humiliatio­n d’un pouvoir qui s’inscrit dans l’héritage d’un empire dont il tente de raviver la grandeur au nom d’une histoire mythifiée sans parvenir à convaincre de sa légitimité. L’humiliatio­n que dénonce le Kremlin n’est qu’un instrument destiné à masquer ses propres échecs. C’est très précisémen­t ce que fait Pékin depuis des décennies pour alimenter le nationalis­me chinois dont le but affiché est d’effacer «un siècle d’humiliatio­n». Il est donc tout à fait vain de chercher à éviter d’humilier la Russie de Poutine. Le seul respect que l’on doit aux Russes est de défendre le droit. Le leur comme celui des Ukrainiens.

Le seul respect que l’on doit aux Russes est de défendre le droit. Le leur comme celui des Ukrainiens

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