Acheter du brut russe, mode d’emploi
La guerre en Ukraine bouleverse le commerce des hydrocarbures, bien qu’il ne soit pas interdit d’acheter du pétrole en Russie. Des firmes suisses sont liées par des accords à long terme avec la compagnie publique Rosneft, vitale pour le Kremlin
Les turbulences et la volatilité font les affaires des négociants en matières premières. Durant la crise de 2009, l'effondrement des prix de 2014 ou la pandémie, les traders ont réalisé des profits record. La guerre en Ukraine, à nouveau, engendre des opportunités, à condition d'avoir les reins solides et que l'on soit prêt à prendre des risques.
En février, les six premiers exportateurs de pétrole russe par mer étaient des sociétés suisses, selon des données consultées par Le Temps. Outre Vitol, Trafigura et Glencore, figure des groupes moins connus comme Paramount, Petraco et Litasco. Vitol et Trafigura sont liés par des contrats à long terme conclus avec la société d'Etat russe Rosneft, vitale pour les finances du Kremlin.
A ce jour, la guerre n'a pas diminué le volume échangé, qui se situe «dans la moyenne des années précédentes», relève Daniel Gerber, directeur de Petro-Logistics, une firme genevoise analysant les données pétrolières. Elle bouscule néanmoins le secteur, bien qu'il ne soit pas interdit d'acheter du pétrole russe.
Dès lors, l'activité se concentre sur un petit nombre de joueurs. «Pour continuer à traiter ce pétrole, il vaut mieux détenir beaucoup de fonds propres et posséder sa flotte de pétroliers», raconte un trader. Redoutant la saisie de leurs navires, des armateurs refusent tout transport en Russie ou requièrent des surprime énormes.
«La plupart des banques se sont désengagées de Russie», assure Florence Schurch, secrétaire générale de la STSA, le lobby de la branche. «Le risque réputationnel est trop important. Il est aussi difficile de maîtriser ces transactions complexes. Au moindre pépin, c'est la catastrophe», selon une source. La situation est telle que la Fédération européenne des négociants en énergie a écrit cette semaine aux banques centrales occidentales pour demander des liquidités pour poursuivre leurs activités, selon le Financial Times.
Rabais record sur le brut russe
Les sociétés ayant des contrats en cours sont confrontées à un choix coûteux: faut-il les honorer ou les rompre? D'un côté, elles pourraient ne pas être couvertes par les assurances en cas de problème, de l'autre elles risquent des poursuites.
Début mars, Shell a cru faire une bonne affaire en achetant du brut russe dont le baril valait 28,5 dollars de moins que celui du Brent, quelques jours après avoir dit se retirer du pays à cause de la guerre. Le géant anglo-néerlandais a essuyé dans la foulée une tempête politico-médiatique.
En route vers l’Asie
Faute de clients, ce pétrole doit être acheminé plus loin qu'à l'accoutumée, or les prix du fret battent des records et il faut procéder à des ajustements sur la qualité de l'Urals pour l'adapter aux besoins des raffineries.
Le numéro un du commerce de pétrole, Vitol, a vendu cette semaine trois millions de barils d'Urals à la plus grande raffinerie d'Inde quand le différentiel avec le Brent était de 20 à 25 dollars. Cette dernière a exigé de ne s'occuper que de la réception de la cargaison, faisant reposer les risques sur la firme genevoise. Vitol dit remplir ses obligations contractuelles en conformité avec les sanctions applicables.
la plupart des vendeurs doivent prendre en charge les coûts du fret et d'assurance, ce qui coûte cher et suppose une destination fixe. En temps normal, ils changent souvent de cap en cours de route, au gré des opportunités. D'autres vendeurs proposent un crédit ouvert. Dans ce cas, l'acheteur ne rembourse son client que lorsqu'il a écoulé à son tour le produit. Cela suppose une grande confiance, puisque le vendeur n'a aucune garantie d'être payé. Or, au prix actuel du brut, une seule cargaison peut valoir jusqu'à 200 millions de dollars.
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