La graisse brune, une alliée de poids
Découverte chez l’adulte il y a près de dix ans, la graisse brune brûle des calories pour produire de la chaleur. Elle est activée par le froid et intéresse les scientifiques comme piste de lutte contre l’obésité
Nager dans les eaux froides du Léman en hiver est en vogue. De plus en plus d’aficionados se jettent dans le liquide à 7 degrés à peine, convaincus des bienfaits que le plongeon glacial apporte à leur corps. Et ils ont peut-être raison. Il y a bien des cellules dans l’organisme qui jouent un rôle bénéfique lors de l’exposition au froid: la graisse brune. Une «bonne» graisse qui puise dans les stocks et fonctionne comme une chaudière. Découverte il y a une dizaine d’années chez l’adulte, elle enthousiasme les scientifiques depuis.
Le poids corporel est en général stable – produit d’un équilibre entre la quantité d’énergie ingérée et celle dépensée. Deux éléments ont un rôle clé dans ce maintien d’équilibre pondéral: la graisse dite «blanche», la plus abondante, stocke les excès d’apports énergétiques sous forme de molécules graisseuses, les triglycérides. Ce tissu peut mobiliser et envoyer l’énergie requise par les organes sous forme d’acides gras.L’autre acteur, c’est la graisse brune, qui génère de la chaleur en dégradant du glucose, des lipides et d’autres métabolites. Au coeur de ces cellules appelées adipocytes bruns, il existe une armada de mitochondries – des petites centrales thermiques activées par plusieurs événements extérieurs comme le froid et la prise alimentaire.
4 kg de graisse brûlés par an
La graisse brune était connue chez les rongeurs et chez les bébés humains. Mais on pensait qu’elle disparaissait chez les adultes. Jusqu’à cette découverte en 2009 par des chercheurs scandinaves… «L’imagerie a permis de mettre en évidence des groupes d’adipocytes bruns dans des zones précises, dans le cou et sous les clavicules, raconte Christian Wolfrum, chercheur à l’Institut de nutrition et de santé à l’Ecole polytechnique fédéral de Zurich, et auteur d’un article sur la graisse brune publié jeudi dans la revue Science. Il est probable qu’il y ait aussi des cellules isolées dans le reste du corps mais qui ne sont pas détectables.» Une étude récente a montré l’existence de cellules souches à l’origine de graisse brune près de la paroi des vaisseaux sanguins.
La quantité de graisse brune dans un corps adulte et la dépense énergétique associée sont difficiles à mesurer. Certains chercheurs avancent un chiffre autour des 60 grammes de tissu adipeux brun qui brûlerait l’équivalent de 4 kilos de graisse par an. Les études se multiplient depuis dix ans pour comprendre le fonctionnement de ce bon gras et l’effet de son activation sur la santé.
Dans une étude américaine parue en 2021 dans la revue Nature Medicine, des chercheurs ont fait passer des scanners à plus de 52000 personnes. Celles qui avaient des adipocytes bruns avaient moins de maladies cardiovasculaires et métaboliques comme l’obésité ou le diabète de type 2, avec une pression sanguine plus faible et moins de glucose dans le sang. «C’est une corrélation mais l’étude est robuste et ces résultats suggèrent que la graisse brune est liée à un meilleur métabolisme», commente Christian Wolfrum.
Le revers de la médaille
Le froid est le seul stimulus physiologique connu des cellules brunes. En condition normale, le corps possède peu de cellules brunes alors qu’on en compte davantage en hiver et si l’on est souvent exposé au froid comme les personnes qui travaillent à l’extérieur. Le froid est ressenti par les nerfs de la peau qui informent le cerveau. Ce dernier envoie alors un message d’activation aux cellules brunes via les nerfs périphériques et la sécrétion d’adrénaline. En 2013, le chercheur zurichois et ses collègues ont montré, chez la souris, que certaines cellules de la graisse blanche étaient même capables de se transformer en cellules brunes sous l’effet du froid soutenu, soit une semaine à 8°C.
Se plonger dans le froid et transformer sa graisse blanche en brune pour brûler plus de calories… Une idée séduisante pour aider les personnes qui souffrent d’obésité. «Le problème avec l’application du froid, c’est qu’il augmente aussi la fréquence cardiaque et la pression sanguine, ce qui n’est pas souhaitable chez des personnes déjà à risque, tempère Christian Wolfrum. On espère trouver des voies alternatives pour activer la graisse brune.»
La piste hormonale
Mais est-ce que le risque ne serait pas d’avoir trop chaud? Cet effet n’inquiète pas le chercheur zurichois. «La chaleur produite n’est pas un problème car la différence de température pour le corps est faible, quelques centièmes de degrés Celsius peut-être, précise-t-il. Le but serait de mimer la dépense énergétique. Si on brûle, on améliore le contrôle du glucose et on a moins de dépôt de gras, ce qui protège du diabète et des maladies cardiovasculaires.»
Une autre piste que le froid: la sécrétine. D’après des travaux publiés en 2018, cette hormone produite par les intestins active les cellules brunes après un repas. La hausse de température est détectée par le cerveau qui réagit en diminuant l’appétit. Pour l’instant, les recherches sont encore fondamentales, aucune étude clinique d’envergure n’a été lancée.
Le froid est le seul stimulus physiologique connu des cellules brunes
«Nous sommes très attentifs aux nouvelles pistes de traitement, commente Nathalie Farpour Lambert, pédiatre spécialisée dans la prise en charge de personnes souffrant d’obésité. En activant la graisse brune avec un médicament, on pourrait permettre une perte de poids en augmentant la dépense énergétique sans avoir à plonger les gens dans l’eau froide pendant des heures! Mais ce ne serait pas une solution miracle et unique. L’obésité est une maladie chronique multifactorielle dans la majorité des cas avec des prédispositions génétiques et un mode de vie défavorable. Il faut donc prendre aussi en compte l’activité physique, l’alimentation et la psychologie des patients.»
En Suisse, un seul médicament efficace est autorisé pour l’instant pour lutter contre l’obésité: le liraglutide, une hormone qui régule naturellement l’appétit, par injection cutanée quotidienne. «Il y a beaucoup de lenteur, peu de recherche et de validation de traitement, déplore la pédiatre. On manque d’options thérapeutiques.» La prochaine pourrait allumer le feu de la graisse brune. ■