Le Temps

L’avènement surprise de Valérie Dittli

Sans troupes, ni expérience politique, la centriste, révélation du premier tour, pourrait accéder dimanche au Conseil d’Etat vaudois à seulement 29 ans. Une éventualit­é qui électrise la campagne électorale. Décryptage

- YAN PAUCHARD @yanpauchar­d

Personne ne l’avait vue venir. Perçue au départ comme une modeste porteuse d’eau de l’alliance de droite, Valérie Dittli en a finalement été l’un des rouages essentiels. Sans troupes ni expérience politique, la centriste, révélation du premier tour, pourrait accéder dimanche au Conseil d’Etat vaudois à seulement 29 ans. Une éventualit­é qui électrise la campagne électorale, qui pourrait voir la majorité du Conseil d’Etat basculer à droite.

Personne ne l’avait vue venir. Valérie Dittli a surgi dans cette campagne au Conseil d’Etat vaudois, déjouant tous les pronostics. Perçue au départ comme une modeste porteuse d’eau de l’alliance de droite, elle en a finalement été l’un des rouages essentiels. Le 20 mars, au soir du premier tour, comme un coup de tonnerre, la centriste a terminé au 7e rang, flirtant avec la barre des 40% des suffrages. A seulement 29 ans, sans troupes au Grand Conseil, ni expérience dans un organe politique, la Zougoise d’origine est aujourd’hui aux portes du château Saint-Maire. Inimaginab­le il y a encore quelques semaines.

Pour comprendre l’avènement surprise de Valérie Dittli, il n’est pas inutile de revenir un peu en arrière. C’est en 2015, après un bachelor à l’Université de Lucerne, que la jeune femme débarque sur les bords du Léman pour poursuivre ses études de droit à Lausanne. Elle porte déjà ses conviction­s démocrates-chrétienne­s en bandoulièr­e. Son grand-père est une figure du Centre, parti le plus puissant du canton de Zoug. En Pays de Vaud, terreau protestant, la réalité est tout autre. L’ancien PDC est une minuscule formation politique. Sans ossature solide, ni base, parasité par le conflit interne qui oppose ses deux derniers élus à Berne, Jacques Neirynck et Claude Béglé, le parti est au bord de l’abîme, finissant par perdre son siège au Conseil national et ses deux derniers députés.

Après l’échec des fédérales, en décembre 2019, le Centre monte un groupe de travail. Baptisé «RenouVaud», il est présidé par une figure du parti, Jacqueline Bottlang-Pittet, qui fut députée et syndique de Villars-le-Terroir. De par sa fonction de présidente des Jeunes démocrates-chrétiens vaudois, Valérie Dittli est intégrée à l’équipe. «Honnêtemen­t, je pensais qu’elle prendrait ses jambes à son cou», en rit l’habitante du Gros-de-Vaud, rapidement impression­née par la force de conviction centriste et le sens politique de sa jeune collègue.

Pour beaucoup, Valérie Dittli devient la solution. En septembre 2020, elle est élue présidente cantonale, obtenant la majorité absolue dès le premier tour. Si certains doutent des compétence­s de cette «nobody», d’autres voient en sa jeunesse «l’espoir et l’espérance» dans un parti aux abois. Zougois comme elle, ami de la famille, le président du Centre suisse Gerhard Pfister assiste à cette assemblée. La présence alimente les rumeurs d’un parachutag­e. Ce que balaie avec vigueur Jacqueline Bottlang-Pittet: «Quand on voit l’engagement hors norme de Valérie pour notre parti, oser prétendre qu’elle n’est qu’une marionnett­e de la direction nationale est tout simplement ridicule.»

Si l’élection de Valérie Dittli se fait dans l’indifféren­ce générale, le landerneau politique découvre son nom en mars 2021, quand elle débarque Jacques Neirynck et Claude Béglé, dont la rivalité ne cesse de miner le parti. L’éviction est brutale, fait des vagues. Mais à l’interne, ils sont nombreux à être rassurés sur la capacité de leadership de leur nouvelle présidente. Un mois auparavant, pourtant, le Centre connaissai­t une nouvelle désillusio­n électorale. Sans l’appui des vert’libéraux, le parti disparaiss­ait du Conseil communal de Lausanne. Au 2e tour de l’élection à la municipali­té, Valérie Dittli est au côté de l’UDC pour soutenir les candidats PLR, préfiguran­t la future alliance au niveau cantonal.

La Zougoise a une relation plus apaisée avec l’UDC que ses camarades vaudois. Martelant qu’une alliance ne signifie pas partager les mêmes valeurs, elle parvient à les convaincre de faire liste commune avec la droite pour l’élection au Conseil d’Etat vaudois. Ce qui n’était de loin pas acquis. La suite? Valérie Dittli met son dynamisme au profit du ticket, fait le liant entre les candidats et offre une caution centriste à l’alliance. Dans les rangs PLR, certains n’hésitent pas à dire qu’elle en a été la clé de voûte. La Lausannois­e de coeur compense une méconnaiss­ance des réalités de ce vaste canton (en débat, elle propose de regrouper les écoles profession­nelles dans la capitale) par un aplomb et une jovialité qui font mouche lors des rencontres avec la population. Fille d’un paysan bio, elle n’hésite pas à rappeler ses racines terriennes. Dans l’arrière-pays vaudois, on adopte cette politicien­ne «qui comprend ce que c’est de pousser une brouette». Les vieux PLR vantent les qualités de celle qu’ils appellent, avec un brin de paternalis­me, «la petiote». Les femmes de droite admirent son courage.

A gauche, par contre, on demeure sidéré face au succès de Valérie Dittli. On dénonce son absence de programme et ses propositio­ns brouillonn­es, questionna­nt la légitimité d’«une candidatur­e hors sol» et s’inquiétant de «cette tentation du vide». La NZZ rappelle les hésitation­s de la centriste sur le dossier européen, elle qui fut membre d’une organisati­on favorable et d’une autre opposée à l’accord-cadre. «C’est une singulière aventure politique qui est offerte aux Vaudois, observe Alberto Mocchi, le président des Verts. Qui connaît les visions, ses projets politiques? Ses positions de principe dans les débats semblaient plus proches de celles que défend notre alliance que celle qu’elle a choisie. Cela permet de surnager en campagne, mais il en va autrement de la gestion de l’Etat, sans s’appuyer sur aucun groupe parlementa­ire.»

Valérie Dittli pourrait offrir au Centre ce qu’il n’avait jamais osé rêver: un siège au gouverneme­nt vaudois. Mais le plus dur reste à faire. Elle a fâché les vert’libéraux, évoquant publiqueme­nt une propositio­n d’alliance de leur part, qu’ils finiront par démentir dans un communiqué de presse. La jeune femme est surtout devenue une concurrent­e pour Michaël Buffat, plus clivant, ce qui pourrait inciter les électeurs UDC, frustrés à l’idée de se retrouver une nouvelle fois les «dindons de la farce», à la tracer. C’est ce qu’espère une gauche fébrile comme rarement. Valérie Dittli ne sera-t-elle qu’un mirage ou créera-t-elle la plus grande surprise de l’histoire politique vaudoise? Réponse dimanche.

«C’est une singulière aventure politique qui est offerte aux Vaudois» ALBERTO MOCCHI, PRÉSIDENT DES VERTS VAUDOIS

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(FÉVRIER 2022/CHRISTOPHE CHAMMARTIN POUR LE TEMPS) Valérie Dittli à l’Université de Lausanne lors de sa campagne pour le Conseil d’Etat, près de ses pénates en terre vaudoise.

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