Oui à la loi sur le cinéma et à l’Europe
Le vote populaire le 15 mai sur la modification de la loi sur le cinéma aura un impact sur la place de la Suisse en Europe. Pour mieux se rendre compte de cet enjeu, il convient de faire un bref retour sur image. 1991: les Communautés européennes instituent leur premier programme Media d’aide au cinéma. La Suisse s’y intègre rapidement, par un simple accord de droit privé. Puis arrive le 6 décembre 1992: le non à l’EEE et l’exclusion de la Suisse du programme. Il faudra attendre les bilatérales II pour réintégrer le programme Media 2001-2006. L’accord bilatéral Media est signé en octobre 2004 et entre en vigueur le 1er avril 2006 après une longue procédure de ratification côté UE. Avec le temps qui s’était écoulé depuis l’ouverture de la négociation, le programme Media touchait alors à sa fin et allait être remplacé par le programme 2007-2013. La Suisse s’y associe avec succès puisque durant cette période 111 institutions suisses ont bénéficié d’un soutien de l’UE et plus de 300 professionnels suisses ont participé à des formations UE.
En septembre 2013, le Conseil fédéral approuve son mandat de négociation en vue du prochain programme de l’UE. Un certain vote populaire du 9 février 2014 l’oblige à changer ses plans, se trouvant désormais en face d’une UE peu encline à négocier. Les pourparlers avec Bruxelles reprennent péniblement fin 2014. En juillet 2016, le Département fédéral de l’intérieur introduit des «mesures compensatoires Media» de soutien au cinéma, dotées d’un budget de 4,5 millions de francs et basées sur des critères très proches de Media. Mais fin 2018, Bruxelles adopte sa Directive «Services de médias audiovisuels», qui prescrit un quota de diffusion pour les oeuvres européennes en streaming. La législation suisse n’étant pas conforme, les pourparlers cessent. Sans reprendre cette norme dans sa loi, la Suisse n’a plus aucune chance de participer à Media. La directive permet aux Etats d’instituer des obligations d’investissement dans la production nationale, une possibilité que les principaux pays producteurs de films ont mis en oeuvre.
Le projet de loi ne fait que reprendre ce quota et cette obligation d’investissement. Au moment où la voie bilatérale sectorielle semble être la seule praticable à moyen terme, il est indispensable de mettre notre législation à jour. Car, sans un oui le 15 mai, pas de négociation bilatérale Media. Si nous sommes pour une Suisse en harmonie avec l’Europe, si nous voulons progresser sur la voie bilatérale, alors il faut être en mesure de négocier dans tous les secteurs d’intérêt pour la Suisse, ce qui inclut la culture.
Le programme Media est désormais un des deux pans sectoriels du programme-cadre Europe Créative 20212027 de l’UE. Rien que pour 2022, ce dernier est doté de 385 millions d’euros. Pour la période 2021-2027, il est budgété à 2,44 milliards d’euros, et Media compte pour 58% de ces montants. Ceux-là même qui s’opposent à la loi en tirant argument du montant à leurs yeux trop élevé du soutien de la Confédération au cinéma suisse seraient bien avisés de reprendre leur calculette en tenant compte d’une réintégration dans Media.
Comme dit précédemment, l’obligation imposée aux plateformes de streaming d’offrir une part minimale d’oeuvres européennes résulte de la Directive «Services de médias audiovisuels» et est reprise dans tous les pays de l’UE, parfois avec un taux de 50% ou plus. Dès lors, ces plateformes ont déjà adapté leur offre, et si elles le font pour toute l’UE, il va de soi qu’elles le font aussi pour la Suisse. Pour les plateformes, la nouvelle loi ne changera rien, d’autant que la part de 30% prévue par la loi correspond au taux minimum requis par la directive. Mais pour la Suisse, cela change tout puisque avec une législation conforme au droit de l’UE elle sera en mesure de négocier son association à Europe Créative. De manière générale, ce projet de loi permettra à notre industrie cinématographique de travailler dans un environnement réglementaire aligné sur l’Europe, il facilitera les collaborations avec nos voisins, et il la mettra sur un pied d’égalité. Autant de raisons de voter oui le 15 mai.