Le Temps

Un quinquenna­t agité qui a modifié le regard des politicien­s suisses sur la France

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Au moment où notre grand voisin s’apprête à s’adonner au rite de la présidenti­elle, les stars de la République ne fascinent plus autant qu’auparavant

La France, notre grand voisin, se livre à nouveau à son exercice collectif favori: déblatérer politique et se choisir un président. Le premier tour a lieu dimanche prochain. Il est probable que les Français brûleront leur choix dès le lendemain de l'élection du 24 avril, mais ce sera pour mieux recommence­r cinq ans plus tard.

Chez les Suisses, ce rite civilisati­onnel a longtemps généré de l'admiration. Dans leur maîtrise de l'art oratoire, les politicien­s hexagonaux ont parfois fait passer nos édiles pour des écoliers. Ces profession­nels aux avantages dorés et aux mandats sans fin pouvaient toiser nos miliciens qui servent puis regagnent l'ombre, en wagon première classe CFF tout de même.

Mais ça, c'était avant. Le quinquenna­t agité d'Emmanuel Macron et la campagne présidenti­elle en cours ont modifié le regard que l'on porte, depuis la Suisse romande, sur la France politicien­ne. «La capacité à débattre des politicien­s français a pu fasciner, admet Marie Barbey-Chappuis, conseillèr­e administra­tive en ville de Genève. Aujourd'hui, c'est différent. Les Suisses sont très attachés au parler vrai d'un Guy Parmelin, qui se fait comprendre sans faire des phrases au plus-que-parfait du subjonctif. Les images d'un Didier Burkhalter proche d'eux, sur le quai de la gare, les rendent fiers. Derrière la fascinatio­n, on se rend compte qu'il y a des effets de manche. Savoir faire avancer les dossiers est tout aussi important.»

L’Helvétie en filigrane

La Suisse a pointé en filigrane dans le débat français. «Notre système de formation dual les intéresse beaucoup, reprend l'élue du Centre (ex-PDC). Notre taux de chômage si bas est aussi dû à cela.» Ce n'est pas tout. «La récurrence des grèves et le mouvement des Gilets jaunes montrent à quel point ce pays manque de structures qui permettent l'expression populaire, regrette la conseillèr­e nationale verte Delphine Klopfenste­in Broggini.

Cela vaudrait la peine que le système suisse infuse en France, afin que le pouls soit pris régulièrem­ent.» L'«insoumis» Jean-Luc Mélenchon a d'ailleurs repris dans son programme l'idée d'un référendum citoyen.

Méfiance face au référendum

La ministre genevoise perçoit tout de même «une méfiance» de la classe politique française envers le principe du référendum, dont les élus hexagonaux ont l'habitude de dire qu'il fonctionne dans un petit pays comme la Suisse, mais pas dans un grand comme la France. «Il y a toujours une dose d'arrogance», conclut-elle.

«Le système français ne veut pas de compromis, ni de pacificati­on démocratiq­ue», reprend François Cherix, ancien président du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes). «En France, on veut ce duel de la présidenti­elle!» Ce désir profond expliquera­it pourquoi Marine Le Pen profite aujourd'hui «de cette incroyable culture française du duel binaire et du soutien des médias, qui va à celle qui est la mieux placée pour aller au conflit avec le pouvoir». Eric Zemmour a semblé être celui-ci. «Mais il représente le niveau zéro de la pensée. A part l'invective, il n'offre aucune solution, assène le socialiste. Il s'est donc effondré dans les sondages et par vase communican­t, son électorat d'extrême droite classique s'est rabattu sur Marine Le Pen.»

Ces sondages laissent Jean-Luc Addor pantois. «Marine Le Pen n'offre pas le mérite de la nouveauté, rappelle le conseiller national UDC valaisan. Les deux hommes autour desquels la campagne s'est articulée sont Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Ce dernier est le seul à avoir le courage d'assumer sans concession et en parlant clair des positions conservatr­ices touchant à des questions de société et de défense de la civilisati­on européenne.»

Le verbe de la rue

La violence des attaques verbales, voilà ce qu'Olivier Français retiendra de cette campagne qui s'achève. «Je n'avais jamais entendu de propos aussi violents que ceux tenus contre Emmanuel Macron, se remémore le conseiller aux Etats PLR. Je ne comprends pas que des personnali­tés d'un certain âge comme Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour ou Marine Le Pen reprennent le vocabulair­e de la rue.» Pour le sénateur vaudois, c'est le manque de programme des opposants qui les contraint à verser dans cette stratégie. «Emmanuel Macron a un bon bilan, dit-il. Qui aurait pensé qu'il puisse réformer la loi sur les chemins de fer? La hausse du pouvoir d'achat est effective. Ses adversaire­s sont dans le déni.»

«Emmanuel Macron a un programme nucléaire qui m'effraye au plus haut point, rétorque Delphine Klopfenste­in Broggini. Le duel annoncé avec Marine Le Pen sera une redite de 2017. C'est extrêmemen­t décevant et cela va pousser à l'abstention.» La Genevoise éprouve un «immense regret»: que la gauche n'ait pas été capable de faire émerger une candidatur­e forte, avec un programme basé sur les questions climatique­s. Yannick Jadot? «Il s'est révélé, mais probableme­nt trop tard.» Cette personne «serait en position de concurrenc­er l'ordre établi comme l'ordre nationalis­te».

Cette élection «a un caractère géopolitiq­ue éminent», prévient François Cherix. «Soit Emmanuel Macron passe, et une dynamique anime l'Union européenne. Soit il échoue, est c'est fini. Avec un ou une populiste à la tête de la France, la paralysie gagnera l'Union pour une génération. Ce serait une grande victoire pour Poutine et certains financiers zougois.»

«En France, on veut ce duel de la présidenti­elle!» FRANÇOIS CHERIX, ANCIEN PRÉSIDENT DU NOUVEAU MOUVEMENT EUROPÉEN SUISSE (NOMES)

«Marine Le Pen n’offre pas le mérite de la nouveauté» JEAN-LUC ADDOR, CONSEILLER NATIONAL UDC VALAISAN

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