Un quinquennat agité qui a modifié le regard des politiciens suisses sur la France
Au moment où notre grand voisin s’apprête à s’adonner au rite de la présidentielle, les stars de la République ne fascinent plus autant qu’auparavant
La France, notre grand voisin, se livre à nouveau à son exercice collectif favori: déblatérer politique et se choisir un président. Le premier tour a lieu dimanche prochain. Il est probable que les Français brûleront leur choix dès le lendemain de l'élection du 24 avril, mais ce sera pour mieux recommencer cinq ans plus tard.
Chez les Suisses, ce rite civilisationnel a longtemps généré de l'admiration. Dans leur maîtrise de l'art oratoire, les politiciens hexagonaux ont parfois fait passer nos édiles pour des écoliers. Ces professionnels aux avantages dorés et aux mandats sans fin pouvaient toiser nos miliciens qui servent puis regagnent l'ombre, en wagon première classe CFF tout de même.
Mais ça, c'était avant. Le quinquennat agité d'Emmanuel Macron et la campagne présidentielle en cours ont modifié le regard que l'on porte, depuis la Suisse romande, sur la France politicienne. «La capacité à débattre des politiciens français a pu fasciner, admet Marie Barbey-Chappuis, conseillère administrative en ville de Genève. Aujourd'hui, c'est différent. Les Suisses sont très attachés au parler vrai d'un Guy Parmelin, qui se fait comprendre sans faire des phrases au plus-que-parfait du subjonctif. Les images d'un Didier Burkhalter proche d'eux, sur le quai de la gare, les rendent fiers. Derrière la fascination, on se rend compte qu'il y a des effets de manche. Savoir faire avancer les dossiers est tout aussi important.»
L’Helvétie en filigrane
La Suisse a pointé en filigrane dans le débat français. «Notre système de formation dual les intéresse beaucoup, reprend l'élue du Centre (ex-PDC). Notre taux de chômage si bas est aussi dû à cela.» Ce n'est pas tout. «La récurrence des grèves et le mouvement des Gilets jaunes montrent à quel point ce pays manque de structures qui permettent l'expression populaire, regrette la conseillère nationale verte Delphine Klopfenstein Broggini.
Cela vaudrait la peine que le système suisse infuse en France, afin que le pouls soit pris régulièrement.» L'«insoumis» Jean-Luc Mélenchon a d'ailleurs repris dans son programme l'idée d'un référendum citoyen.
Méfiance face au référendum
La ministre genevoise perçoit tout de même «une méfiance» de la classe politique française envers le principe du référendum, dont les élus hexagonaux ont l'habitude de dire qu'il fonctionne dans un petit pays comme la Suisse, mais pas dans un grand comme la France. «Il y a toujours une dose d'arrogance», conclut-elle.
«Le système français ne veut pas de compromis, ni de pacification démocratique», reprend François Cherix, ancien président du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes). «En France, on veut ce duel de la présidentielle!» Ce désir profond expliquerait pourquoi Marine Le Pen profite aujourd'hui «de cette incroyable culture française du duel binaire et du soutien des médias, qui va à celle qui est la mieux placée pour aller au conflit avec le pouvoir». Eric Zemmour a semblé être celui-ci. «Mais il représente le niveau zéro de la pensée. A part l'invective, il n'offre aucune solution, assène le socialiste. Il s'est donc effondré dans les sondages et par vase communicant, son électorat d'extrême droite classique s'est rabattu sur Marine Le Pen.»
Ces sondages laissent Jean-Luc Addor pantois. «Marine Le Pen n'offre pas le mérite de la nouveauté, rappelle le conseiller national UDC valaisan. Les deux hommes autour desquels la campagne s'est articulée sont Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Ce dernier est le seul à avoir le courage d'assumer sans concession et en parlant clair des positions conservatrices touchant à des questions de société et de défense de la civilisation européenne.»
Le verbe de la rue
La violence des attaques verbales, voilà ce qu'Olivier Français retiendra de cette campagne qui s'achève. «Je n'avais jamais entendu de propos aussi violents que ceux tenus contre Emmanuel Macron, se remémore le conseiller aux Etats PLR. Je ne comprends pas que des personnalités d'un certain âge comme Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour ou Marine Le Pen reprennent le vocabulaire de la rue.» Pour le sénateur vaudois, c'est le manque de programme des opposants qui les contraint à verser dans cette stratégie. «Emmanuel Macron a un bon bilan, dit-il. Qui aurait pensé qu'il puisse réformer la loi sur les chemins de fer? La hausse du pouvoir d'achat est effective. Ses adversaires sont dans le déni.»
«Emmanuel Macron a un programme nucléaire qui m'effraye au plus haut point, rétorque Delphine Klopfenstein Broggini. Le duel annoncé avec Marine Le Pen sera une redite de 2017. C'est extrêmement décevant et cela va pousser à l'abstention.» La Genevoise éprouve un «immense regret»: que la gauche n'ait pas été capable de faire émerger une candidature forte, avec un programme basé sur les questions climatiques. Yannick Jadot? «Il s'est révélé, mais probablement trop tard.» Cette personne «serait en position de concurrencer l'ordre établi comme l'ordre nationaliste».
Cette élection «a un caractère géopolitique éminent», prévient François Cherix. «Soit Emmanuel Macron passe, et une dynamique anime l'Union européenne. Soit il échoue, est c'est fini. Avec un ou une populiste à la tête de la France, la paralysie gagnera l'Union pour une génération. Ce serait une grande victoire pour Poutine et certains financiers zougois.»
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«En France, on veut ce duel de la présidentielle!» FRANÇOIS CHERIX, ANCIEN PRÉSIDENT DU NOUVEAU MOUVEMENT EUROPÉEN SUISSE (NOMES)
«Marine Le Pen n’offre pas le mérite de la nouveauté» JEAN-LUC ADDOR, CONSEILLER NATIONAL UDC VALAISAN