Le Temps

L’effondreme­nt du Sri Lanka agite sa diaspora suisse

- B. B.

Pénurie de biens de première nécessité, état d’urgence, le Sri Lanka se convulse. Les conséquenc­es s’en ressentent jusqu’à Zurich, où les bureaux de transfert d’argent à destinatio­n de l’île ont été pris d’assaut

Sur la Mattengass­e, à deux pas de la gare de Zurich, quelques pâtés de maison vibrent au rythme de l'Inde et du Sri Lanka. Deux clients devisent en tamoul à la sortie du Supermarkt Maharaja, une employée vêtue d'un sari traditionn­el s'apprête à ouvrir le Kapy Silks, magasin d'étoffes orientales, et le Don't Worry Eat Curry (restaurant sri-lankais) reçoit sa livraison de légumes journalièr­e. Comme d'habitude. Un attroupeme­nt inhabituel se forme cependant depuis peu aux abords de Rishi Express AG, échoppe spécialisé­e dans l'envoi de devises vers l'Inde et le Sri Lanka.

«La situation est catastroph­ique»

Rappelons le contexte: à la suite de l'effondreme­nt du tourisme et des transferts de fonds de la diaspora à direction de l'île durant la pandémie, les autorités sri-lankaises ont imposé une réduction drastique des importatio­ns afin d'économiser des devises étrangères et de maintenir à flot la très lourde dette du pays (et ses conséquenc­es: en 2019, incapable de rembourser la Chine après un projet pharaoniqu­e sur ses rives, Colombo a par exemple dû accepter de céder un port du sud de l'île à Pékin pour les 99 prochaines années).

Résultat: tout manque (notamment les médicament­s), l'économie s'est effondrée, le pays a demandé l'aide du Fonds monétaire internatio­nal (FMI), les démissions gouverneme­ntales se sont succédé, l'état d'urgence a été instauré – sans être respecté –, des manifestat­ions violentes ont saisi Colombo, les réseaux sociaux ont été bloqués… Une confusion totale règne sur le pays. Ses ramificati­ons se font sentir jusqu'en Suisse qui accueille environ 40 000 SriLankais (un quart d'entre eux possèdent la nationalit­é suisse).

«La situation est catastroph­ique à la maison, dit Aruk, qui termine fébrilemen­t sa cigarette. Je peux envoyer environ 100 francs par mois, je n'ai pas beaucoup d'argent. Malheureus­ement, ça ne suffit pas vraiment. Déjà parce que tout est devenu très cher, mais aussi parce qu'il faut encore pouvoir échanger de l'argent contre quelque chose. Et tout manque. Notamment la nourriture.» Alors que le pays n'est que «récemment» (2009) sorti d'une guerre de trente ans entre la majorité cinghalais­e bouddhiste et les Tigres tamouls, le Sri-Lankais, en Suisse depuis dix ans, n'attend rien du gouverneme­nt en place. «Il faut qu'il parte.»

Sa mère, son père et sa fille sont encore sur place.

«Incompéten­ts»

A quelques mètres de là, Yogi ouvre le Don't Worry Eat Curry, restaurant aux casseroles dorées toujours très fréquenté. «On ne peut pas dire qu'il y ait vraiment de communauté sri-lankaise unie à Zurich, dit le natif du pays, qui fait écho à plusieurs de ses compatriot­es consultés sur la question. Mais chacun essaie d'aider les siens. Moi ça fait trente-cinq ans que je suis là, ma famille est ici. Mais je donne de l'argent à la Fondation Shirdi Sai Baba, qui fait à manger pour les gens dans le besoin. Et il y en a de plus en plus.»

A l'entrée du restaurant, un petit autel représente justement Shirdi Sai Baba, gourou du XIXe siècle vénéré en Inde et au-delà pour sa grande charité. Une bougie est allumée. «Si la crise actuelle peut avoir un effet positif, soupire Yogi, c'est au moins de montrer au reste du monde à quel point le gouverneme­nt est incompéten­t. Nous, on le crie depuis toujours.» Le patron de bistrot hausse les épaules et sourit. «Venez manger ici à l'occasion.» Au bout de la rue, le bureau de change est toujours plein. Aux dernières nouvelles, l'armée srilankais­e menaçait les manifestan­ts de «mesures sévères» et le président refusait de démissionn­er.

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