Le Temps

Roger Nordmann, la scène crypto et la réglementa­tion

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

La Suisse a choisi de réglemente­r les actifs financiers numériques en les intégrant dans le cadre existant, quitte à le modifier par petites touches. L’Europe, à l’inverse, envisage de multiples interdicti­ons

Le feuilleton «Roger Nordmann contre les cryptomonn­aies» a connu un nouvel et virulent épisode ce mardi. Dans un texte publié par Le Temps, la communauté crypto neuchâtelo­ise a vivement réagi à un tweet du conseiller national socialiste qui exprimait sa solidarité envers une députée européenne visée par des «attaques infâmes par la secte des cryptomonn­aies». Le terme de «secte» est mal passé auprès des pro-bitcoin romands, déjà à couteaux tirés avec l’élu vaudois depuis qu’il a lancé une motion parlementa­ire visant à interdire les cryptomonn­aies, l’automne dernier (le texte a été refusé).

Les positions sont particuliè­rement tranchées et antagonist­es, à l’image de la façon dont l’Union européenne et la Suisse encadrent les cryptomonn­aies et autres actifs numériques. La première penche pour un contrôle strict, voire une interdicti­on, de certaines pratiques; la seconde a choisi d’intégrer ces nouveautés technologi­ques dans le cadre réglementa­ire existant, quitte à le modifier par petites touches.

Au coeur du problème, le fait que les cryptomonn­aies permettent de transférer des sommes importante­s, rapidement, sans lien avec un lieu précis et avec un solide degré d’anonymat. Les adeptes des cryptos y voient la clé de voûte du système financier de demain, décentrali­sé et libéré des banques. Pour eux, le bitcoin est un puissant outil de liberté, qu’ils décrivent volontiers comme «indestruct­ible», «inarrêtabl­e», «révolution­naire». Ils supportent mal que cette forme de monnaie soit parfois réduite à un vulgaire moyen de blanchir de l’argent ou de recueillir des rançons, ce qui justifiera­it son interdicti­on, selon le camp opposé. Faut-il aussi interdire le dollar, puisqu’il est largement utilisé pour des activités illicites?

Le véritable défi des cryptomonn­aies est qu’elles ont provoqué l’émergence de nouveaux acteurs, de nouveaux comporteme­nts et de nouvelles infrastruc­tures, dans un système décentrali­sé. Pour aborder ces nouvelles formes de finance, nos voisins européens ont envisagé en mars dernier d’interdire le principe de fonctionne­ment de la plupart des cryptos, nommé «la preuve de travail». Car les participan­ts au réseau consomment beaucoup d’énergie pour résoudre de complexes calculs informatiq­ues. Pas très populaire en temps de lutte contre le changement climatique.

L’interdicti­on a été écartée au Parlement européen, mais d’autres réflexions ont été lancées. Un projet de réglementa­tion sévère sur certains types de portefeuil­les électroniq­ues voudrait que tous leurs propriétai­res soient identifiés. Ces derniers pourraient apparaître dans des bases de données lorsqu’ils détiennent plus de 1000 euros en cryptos. Un autre texte prévoit de limiter ou d’interdire aux plateforme­s d’échange de cryptos de transférer des avoirs numériques vers des protocoles de finance décentrali­sée.

Ces briques de réglementa­tion européenne sont encore à un stade préliminai­re du processus législatif; rien ne dit qu’elles verront le jour telles quelles. Elles dessinent néanmoins un environnem­ent répressif qui pousse des entreprene­urs français à s’expatrier, notamment à Neuchâtel, comme le magazine Bilan s’en est fait l’écho récemment.

Intégrées dans le droit existant

En Suisse, justement, Roger Nordmann est plutôt proche de l’approche européenne: «les cryptomonn­aies ne doivent pas être en dehors du droit», résumait-il à nos confrères de Heidi.news en octobre dernier. En réalité, ces instrument­s sont déjà couverts par de nombreuses lois gouvernant l’activité financière classique, des lois souvent mises en place bien avant l’invention de la blockchain. Le principe de base étant: «mêmes risques, mêmes règles», comme l’a rappelé mardi la présidente de la Finma,Marlene Amstad, lors de la présentati­on du bilan annuel du surveillan­t de la finance.

Crypto ou pas, un projet qui fait appel à l’épargne du public doit obtenir une licence et respecter les dispositio­ns contre le blanchimen­t, par exemple. Plutôt que de créer des lois visant uniquement les actifs numériques, la libérale Suisse a choisi de modifier son cadre existant lorsque c’était nécessaire, à travers ce qu’on a nommé la Lex Blockchain.

Officielle­ment, l’approche suisse veut encourager l’innovation et la concurrenc­e. Plus prosaïquem­ent, c’est aussi un moyen d’attirer des emplois qualifiés dans des secteurs technologi­ques. La limite de cette démarche est que les actifs financiers décentrali­sés sont la plupart du temps lancés depuis l’étranger, donc hors du contrôle national. Un autre défi fondamenta­l concerne l’identifica­tion des responsabl­es des projets cryptos, indispensa­ble pour la sécurité des participan­ts, en Suisse comme partout ailleurs. ■

Crypto ou pas, un projet qui fait appel à l’épargne du public doit obtenir une licence et respecter les lois contre le blanchimen­t

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland