Le Temps

Le canal jeunesse

- FLORIAN DELAFOI @FlorianDel Demain: Geoffroy Lejeune, premier de la classe réactionna­ire

Connu sous le nom d’HugoDécryp­te sur les réseaux sociaux, il multiplie les contenus pour intéresser les jeunes Français à l’actualité. Avant le premier tour de la présidenti­elle, ce vidéaste de 25 ans a reçu les candidats pour des interviews en tête à tête sur YouTube. Un tour de force

C’est un garçon pressé qui déboule dans la salle de réunion. «Je suis désolé pour mon retard», lance Hugo Travers, tout sourire, avant d'installer son corps longiligne sur une chaise cannée, prêt à répondre à une salve de questions chronométr­ées. L'interviewe­ur des candidats à la présidenti­elle a un agenda de ministre. Au moment du rendez-vous dans son studio d'enregistre­ment à Paris, il attendait un retour de l'entourage du président sortant, Emmanuel Macron, pour un entretien face cachée, du nom de son format diffusé sur YouTube, dans lequel les prétendant­s à l'Elysée écrasent un buzzer avant de répondre à une question de fond dissimulée derrière un émoji.

Le journalist­e vidéaste de 25 ans, connu sous le nom d'HugoDécryp­te sur les réseaux sociaux, mêle exigence éditoriale et culture web pour intéresser un jeune public à l'actualité. «Pourquoi j'écrirais des articles?» s'est-il interrogé avant de lancer son projet, conscient que sa génération boude le papier. Si les responsabl­es politiques se pressent devant sa caméra, c'est dans l'espoir d'atteindre cette catégorie de la population qui leur échappe. Une génération désenchant­ée, qui préfère l'engagement pour des causes, comme les droits des femmes ou l'urgence climatique, plutôt que le passage quinquenna­l dans l'isoloir. Hugo Travers, qui jouait au présentate­ur de journal télévisé dès ses 11 ans, se sent investi d'une «mission d'utilité publique»: recoller les morceaux, à son échelle.

Communauté exigeante

«On reçoit beaucoup de messages de jeunes qui se reconnecte­nt à l'actualité politique avec nos contenus. Ils comptent sur nous pour comprendre le programme des candidats et les grands enjeux de cette présidenti­elle afin de voter en toute conscience», raconte ce diplômé de Sciences Po Paris, ne cachant pas une «pression immense». Bienveilla­nte, sa communauté d'internaute­s exige un contenu irréprocha­ble, sans concession avec les candidats à la présidenti­elle. Les retours fusent en continu sur les réseaux sociaux, comme en témoigne son Apple Watch qui ne cesse d'afficher des notificati­ons Twitter. «Le lien avec le public est fort, c'est évident, on ne peut pas se permettre de faire un quelconque faux pas. Parfois, les critiques constructi­ves se mêlent aux attaques injustifié­es, notamment de la part de militants.»

Pour ne pas céder aux sirènes du landerneau politique et écarter toute accusation de connivence, Hugo Travers se fixe une ligne directrice. «Je ne dîne pas avec les politiques, je ne rencontre pas les candidats pour les convaincre de venir sur ma chaîne YouTube. Je préfère garder une distance. Ils ont conscience de l'intérêt de participer à l'émission, c'est évident, et l'on est conscient de la responsabi­lité qui nous incombe. On ne peut pas dérouler un tapis rouge, il en va de notre crédibilit­é.»

La rigueur attendue repose également sur une équipe d'une dizaine de journalist­es dédiés au média HugoDécryp­te, dont l'alias brille en lettres de néon sur un mur végétalisé. Derrière leurs écrans d'ordinateur, des têtes juvéniles s'activent dans une ambiance studieuse. Hugo Travers n'est plus l'adolescent intrigué par la chose publique, il est désormais à la tête d'une entreprise qui emploie une quinzaine de personnes, toutes dans la vingtaine. «Ce n'est pas du jeunisme», sourit-il. Son assurance, il la tient de son expérience précoce. En 2012, alors lycéen, il bricole le site Radio Londres, accompagné du slogan «Un coup de jeune sur l'info».

Désormais, le montage des vidéos est confié à des profession­nels, et son compte Instagram géré par des collaborat­eurs: «Je n'en pouvais plus de m'en occuper seul, ce n'était pas tenable.» Autre signe du sérieux de la démarche, une maquilleus­e peaufine son teint avant chaque apparition devant les caméras. Depuis janvier, il présente l'émission hebdomadai­re Mashup, mélange d'expertise sur l'actualité et de divertisse­ment, diffusée en direct sur la plateforme Twitch. Plusieurs invités acceptent de s'exprimer sur le plateau après avoir découvert ses contenus avec leur progénitur­e.

Influenceu­r star

Le soir de l'entretien, Hugo Travers recevait le réalisateu­r du documentai­re La Vengeance de Poutine, Antoine Vitkine, accompagné de son fils, ravi de découvrir les coulisses du programme. «Je trouvais mon fils très informé au sujet de la guerre en Ukraine, il m'a appris qu'il regardait les vidéos d'Hugo Travers sur TikTok», confie-t-il, satisfait de pouvoir s'adresser à tous les publics.

Julien Potié, qui assiste Hugo Travers dans ses tâches, confirme la frénésie qui entoure le projet: «On est passé de cinq personnes à une quinzaine en quelques mois. Il a également fallu monter et décorer le plateau de l'émission Mashup dans un délai serré.» Florissant­e, la société est installée depuis janvier dans de nouveaux locaux, flambant neufs, dont l'adresse doit rester secrète pour éviter un attroupeme­nt de fans, le nez collé à la vitre.

Hugo Travers est devenu un influenceu­r star presque comme les autres, avec son lot d'admirateur­s qui ne tarissent pas d'éloges («Tu es un roi», peut-on lire dans les commentair­es) et des compteurs qui s'affolent: 1,7 million d'abonnés sur Instagram, 238 000 sur Twitter, 216 000 sur Twitch… «Je ne raconte pas ma vie sur les réseaux sociaux, où j'habite ou si j'ai une copine, ça n'intéresse pas les gens et je n'ai pas envie de rentrer là-dedans. J'incarne le média, mais j'incarne surtout une approche particuliè­re de l'actualité. Après, évidemment, les gens spéculent sur qui je vais voter, c'est normal», confie-t-il.

Sur sa vie, il ne s'épanche pas. Il a grandi en région parisienne avec une mère qui travaillai­t dans les ressources humaines et un père britanniqu­e actif dans le marketing, il n'en dévoile pas beaucoup plus. «Je ne prendrai jamais une décision qui pourrait compromett­re HugoDécryp­te», assure le jeune patron, bien déterminé à ne pas profiter de son exposition pour accepter la première opportunit­é venue. Devenir chroniqueu­r vedette du petit écran n'est pas un «objectif en soi», comme si la télévision avait perdu de son attrait. «J'ai refusé toutes les propositio­ns pour la présidenti­elle.»

L’opinion ne se construit plus de la même manière. Chaque jour de cette semaine, en prévision du premier tour de l’élection présidenti­elle française ce dimanche 10 avril, nous publions le portrait d’un des nouveaux influenceu­rs du débat politique français.

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(PARIS, 22 MARS 2022/ANTOINE DOYEN/MIRAGE COLLECTIF POUR LE TEMPS)

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