Le Temps

Gianni Infantino et la «dignité» des chantiers du Qatar

Prenant exemple sur ses parents, émigrés italiens venus s’établir en Valais, le président de la FIFA estime que les «dures» conditions de travail sur les chantiers de la Coupe du monde sont une opportunit­é et valent mieux que la charité

- L. FE

A Zurich, la journée a débuté pour les responsabl­es de la communicat­ion de la FIFA avec une nouvelle polémique à désamorcer après des déclaratio­ns inconsidér­ées de leur président. Ils devront travailler vite et bien, car le scandale enfle à grande vitesse sur les réseaux sociaux. A Los Angeles, où il participai­t à un symposium, Gianni Infantino a estimé que les travailleu­rs migrants des chantiers de la Coupe du monde 2022 tirent une certaine fierté de leur dur labeur, dans des propos rapportés par l’agence AP.

Admettant des conditions de travail «dures», Gianni Infantino a affirmé que les travailleu­rs se sentent fiers d’avoir la chance de construire des stades pour le tournoi de cette année dans le pays du Golfe, en gagnant leur vie plutôt qu’en recevant la charité.

«Quand vous donnez du travail à quelqu’un, même dans des conditions difficiles, vous lui donnez de la dignité et de la fierté. Ce n’est pas de la charité. On ne fait pas la charité. On ne donne pas quelque chose à quelqu’un en lui disant: Reste où tu es. Je te donne quelque chose et je me sens bien.»

Plus loin, Gianni Infantino a cru bon de relier l’histoire de ces travailleu­rs pauvres au mythe de l’Amérique bâtie par les migrants et à sa propre famille. «L’Amérique est un pays d’immigratio­n. Mes parents aussi ont émigré d’Italie en Suisse. Pas si loin, mais quand même.» Fils d’immigrés calabrais, Gianni Infantino est né le 23 mars 1970 à Brigue, où ses parents tenaient un kiosque à journaux. Lui-même travailla de nuit dans les wagons-lits pour financer ses études de droit.

6500 morts?

La modératric­e de cette conférence tenue au Milken Institute de Beverly Hills, la journalist­e de MSNBC Stephanie Ruhle, lui avait demandé si la FIFA comptait reverser une partie des milliards de bénéfice de la prochaine Coupe du monde (du 21 novembre au 18 décembre) aux millions de travailleu­rs qui se sont succédé sur les chantiers depuis douze ans, et notamment aux familles de ceux qui y étaient morts.

Une enquête du Guardian en janvier 2021 a estimé que plus 6500 d’entre eux y ont perdu la vie. Même si ces chiffres sont contestés, y compris par l’OIT, les conditions de travail très pénibles, le statut de quasi-prisonnier­s des migrants hors des horaires de travail et le non-respect souvent observé des quelques améliorati­ons imposées par la pression internatio­nale (introducti­on d’un salaire minimum, suppressio­n de la Kafala qui lie le travailleu­r à son employeur) ont été largement documentés.

Elu à la présidence de la FIFA en 2016, Gianni Infantino n’a jamais remis en question le choix du Qatar pour l’organisati­on de la Coupe du monde 2022, malgré des faits avérés de pots-de-vin avant le vote en 2010. Proche de l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, il s’est installé en 2021 à Doha avec femme et enfants, officielle­ment pour être au plus près des préparatif­s de la Coupe du monde, ce qu’aucun président de la FIFA n’avait fait avant lui.

La nouvelle était sortie en janvier, au moment où Gianni Infantino se signalait en déclarant que son projet de Coupe du monde tous les deux ans allait redonner de l’espoir à l’Afrique. «Nous devons trouver des moyens d’inclure le monde entier pour donner de l’espoir aux Africains afin qu’ils n’aient pas besoin de traverser la Méditerran­ée pour trouver peut-être une vie meilleure mais, plus probableme­nt, la mort en mer, avait-il déclaré. Nous devons donner des opportunit­és, donner de la dignité.» Lui en manque singulière­ment.

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