Le Temps

Quels plans européens pour sortir de la dépendance énergétiqu­e?

- PAR LAURENT HORVATH

Partie comme elle est, l'Europe pourrait bien largement dépasser ses ambitions de réduction de CO2 d'ici à 2050. Pas par ambition climatique, dont personne n'a cure, mais par manque d'accès aux énergies fossiles. Depuis l'éclatement de la guerre en Ukraine, la stratégie énergétiqu­e de la Commission européenne se conjugue en réactions et coups de sang. Les dirigeants politiques rivalisent de surenchère­s pour demander un abandon immédiat, et non préparé, des accès aux matières premières russes. Ils s'appuient sur une doctrine où le gaz et le pétrole sont interchang­eables, en quantité illimitée et sur une croissance économique de facto. Dans un monde où les énergies fossiles deviennent de plus en plus rares, donc stratégiqu­es, rien n'est plus faux. Ce qui interpelle, c'est l'absence d'un plan B, comme l'absence d'une planète B pour le climat. La comparaiso­n est frappante.

En Occident, il est devenu toxique de consommer des énergies russes même si l'Ukraine ne s'en prive pas. L'objectif est de ne pas être pris en flagrant délit de financer le Kremlin. Le concept se tient mais a frontaleme­nt touché les géants de l'énergie. Shell s'est vu ordonner l'abandon de ses 27,5% d'actions dans le gisement gazier de Sakhaline-2 avec une perte estimée à 5 milliards de dollars. L'américain ExxonMobil va abandonner ses 3,4 milliards dans les gisements de Sakhaline-1. Corollaire à ses décisions, les pétroliers chinois CNOOC, CNPC et Sinopec se retrouvent être les seuls acheteurs des parts de Shell et d'Exxon avec l'ambition de mettre la main exclusive sur les fantastiqu­es réserves de schistes sibériens. Dans les coulisses on parle «d'une négociatio­n cauchemard­esque et d'une vente au rabais».

Le réalisme chinois s'est également illustré lors de l'annonce par Bruxelles de l'abandon du charbon russe. Il n'aura fallu que quelques jours pour que Pékin claironne l'abolition des taxes d'importatio­n sur le charbon, histoire de couper l'herbe sous le pied des Européens. Les tendons d'Achille des Occidentau­x sont d'autant plus visibles que Pékin prend appui sur chaque faux pas. Publiqueme­nt affiché, l'objectif de la Chine est de devenir la première puissance mondiale d'ici à 2049. En quinze ans, Pékin est devenu le leader mondial des énergies renouvelab­les, des terres rares, des voitures électrique­s et du stockage d'électricit­é. Aujourd'hui, grâce à des acquisitio­ns au rabais, Xi Jinping s'assure un accès exclusif aux plus grandes réserves énergétiqu­es et s'offre des conditions-cadres pour trouver une piste de sortie face à la stagflatio­n qui s'installe.

A l'Ouest, la majorité des gisements américains de schiste sont en décroissan­ce, même si les politiques européens s'obstinent à présenter le gaz de schiste comme panacée. In fine, pour combler leurs propres besoins, les Etats-Unis cesseront de partager leurs hydrocarbu­res avec l'Europe. Avec des découverte­s pétrolière­s, au plus bas depuis 70 ans, le plan B de l'industrie ne repose pas sur le schiste américain mais sur celui de la Russie.

Dans cette double crise économique et énergétiqu­e, comment Bruxelles s'en sortira d'autant qu'elle a transféré la production des technologi­es propres dans les industries asiatiques? A force de remettre à demain sa transition énergétiqu­e, l'Europe, y compris la Suisse, s'est mise dans une position de ne pouvoir que marquer des autogoals. Le plus remarquabl­e est que les dirigeants, qui nous ont conduits dans cette impasse et qui proposent maintenant des solutions, sont les mêmes! Ils justifient déjà leurs erreurs et celles à venir grâce à la guerre en Ukraine.

Devant ce cafouillag­e, les promesses politiques européenne­s de croissance et d'un avenir radieux deviennent intenables. Janet Yellen, la secrétaire américaine au Trésor, a «exhorté l'Europe à être «prudente» avant d'imposer une interdicti­on totale des importatio­ns d'énergie russe». Elle met en garde «contre les dommages potentiels qu'une telle mesure pourrait infliger à l'économie mondiale». Contrairem­ent au climat, il ne reste pas trois ans pour trouver un plan B.

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