Le Temps

L’union avec Mélenchon fracture le PS

L’union de la gauche, impensable il y a encore trois semaines, ne se fera pas sans dommages collatérau­x. Les cadres les plus centristes du Parti socialiste y étaient effectivem­ent très opposés, menaçant même de dissidence

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

Après les écologiste­s et les communiste­s, Jean-Luc Mélenchon et sa Nouvelle union populaire ont conclu ce mercredi un accord pour les législativ­es françaises de juin avec le Parti socialiste. Des négociatio­ns qui auront duré plusieurs jours et plusieurs nuits, et dont le résultat doit être soumis en urgence au conseil national du PS. Les dernières tensions portaient sur les 70 circonscri­ptions qui seraient finalement réservées aux socialiste­s, un chiffre inférieur aux 100 circonscri­ptions, dont 30 considérée­s comme gagnables, obtenues par les écologiste­s.

«Outrance»

Cette union de la gauche, impensable il y a encore trois semaines, ne se fera pas sans dommages collatérau­x. Les cadres du PS étaient effectivem­ent très divisés sur l’opportunit­é d’une alliance avec les Insoumis. Plusieurs figures historique­s du parti sont montées au créneau dès les premiers jours de négociatio­n. Les plus centristes estimaient que la radicalité, le «communauta­risme» et l’«outrance» des mélenchoni­stes menaçaient leur identité sociale-démocrate.

François Hollande a affirmé la semaine dernière que l’accord n’était plus de l’ordre de la «discussion»: «C’est une disparitio­n!» Son ancien ministre Stéphane Le Foll se dit d’ores et déjà prêt à mener une campagne dissidente. L’ex-premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis voulait, lui, résister à l’alliance en refondant le PS pour en faire un «nouveau parti». «La sympathie ne peut couvrir les désaccords, ici se termine notre aventure commune», a tweeté ce mercredi l’ancien président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone.

Plus catégoriqu­e encore, l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve a clairement annoncé mardi qu’il quitterait le PS en cas d’accord avec La France insoumise, menace mise à exécution ce mercredi. Il estime que les dirigeants de son parti ont «perdu leur boussole»: «En politique, savoir qui l’on est et ce que l’on veut, c’est aussi avoir une idée claire de ce que l’on n’est pas et de ce que l’on n’acceptera jamais de devenir», a-t-il écrit dans un long texte marquant clairement la ligne de démarcatio­n idéologiqu­e entre la nouvelle alliance et ces sociaux-démocrates, désormais perdus dans un no man’s land entre Macron et Mélenchon. «L’indépendan­ce de la nation n’a jamais signifié la rupture de ses alliances militaires ni l’accommodem­ent avec des régimes autoritair­es ou des dictatures», écrivait-il, avant d’enfoncer le clou: «En Europe, la gauche qui gagne est une gauche de gouverneme­nt qui se confronte au réel. Elle peut le faire dans le contexte d’alliances larges, mais jamais sur le fondement d’un programme conçu et imposé à ses marges extrêmes.»

Désobéir

Hausse du smic et des salaires, retour de la retraite à 60 ans, blocage des prix, planificat­ion écologique, les principale­s mesures du programme commun n’ont pas de quoi choquer les militants de gauche. Mais l’accord prévoit aussi la possibilit­é de désobéir à certaines règles européenne­s dans les domaines budgétaire et économique. Problémati­que pour les europhiles qui ont gouverné main dans la main avec Angela Merkel et qui dénoncent une «destructio­n du projet européen». Moins problémati­que pour ceux qui étaient critiques vis-à-vis du référendum sur la Constituti­on européenne de 2005. «C’est là que se trouve la ligne de clivage», nous explique Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof ).

Manuel Valls, lui aussi ancien premier ministre socialiste, avait sauté le pas de longue date. Il a aussi eu des mots très durs sur cette alliance: «Voici que l’on se vassalise pour ne pas s’appauvrir, que l’on vend son âme pour ne pas perdre la face», écrivait-il le 29 avril dans une tribune appelant les «républicai­ns de gauche» à le rejoindre aux côtés d’Emmanuel Macron. Il sera d’ailleurs très probableme­nt le candidat aux législativ­es des Français d’Espagne et du Portugal pour le parti présidenti­el, LREM.

Autre fronde: un millier de membres du courant Debout les socialiste­s, menés par Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, ont réclamé lundi une consultati­on des adhérents avant tout accord avec La France insoumise. «Il se pose aujourd’hui une question existentie­lle à notre parti», écrivaient-ils. «Ce n’est pas une négociatio­n ou un accord qui est proposé, c’est une reddition.»

Pour Martial Foucault, on assiste bien à la fin d’un certain Parti socialiste, «celui qui a gouverné, pas celui d’avant Mitterrand»: «Ce n’est pas un hasard si les gens qui contestent l’alliance sont principale­ment ceux qui ont participé à des gouverneme­nts et qui considérai­ent que le PS était le parti autour duquel se structurai­ent les gauches.» Observe-t-on ce qu’on a pu voir de l’autre côté de la Manche avec la chute du blairisme ou en Allemagne avec l’héritage de Gerhard Schröder? «Le Labour a mis dix ans à redéfinir sa matrice idéologiqu­e, avec comme aboutissem­ent Jeremy Corbyn, qui n’acceptait plus les compromis pour accéder au pouvoir.

«Voici que l’on se vassalise pour ne pas s’appauvrir»

MANUEL VALLS, ANCIEN PREMIER MINISTRE SOCIALISTE

Est-ce que le PS entame une telle période? Ça peut prendre de nombreuses années. En Allemagne, c’est différent, on est dans un système beaucoup moins bi-partisan. Le SPD reste social-démocrate et se porte bien dans une culture de coalition. En France, notre mode de scrutin à deux tours est très défavorabl­e à ce genre d’alliance, donc La France insoumise tente un véritable tour de force.»

Il faut dire que le PS n’est plus du tout le parti de gouverneme­nt historique qui dominait la gauche. Considérab­lement affaibli par le score catastroph­ique d’Anne Hidalgo à la présidenti­elle (1,74%), qui la place derrière le candidat communiste, une première depuis des décennies, le Parti socialiste creuse sa tombe depuis l’élection de Hollande. Elle est loin l’époque de la rue de Solférino, adresse historique du siège du parti… Peutêtre faudra-t-il même bientôt deux adresses au PS. ■

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(PARIS, 4 MAI 2022 / MOHAMMED BADRA/EPA) Manuel Bompard (au centre), directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, annonçait hier à la presse l’accord conclu avec le PS.

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