Thierry Apothéloz dévoile sa réforme de l’aide sociale
Le ministre socialiste veut responsabiliser les bénéficiaires, toujours plus nombreux, et inciter ceux qui travaillent à accroître leur taux d’activité. Le projet est désormais entre les mains du Grand Conseil
L’annonce, maintes fois repoussée, était très attendue. Ce mercredi, le chef du Département de la cohésion sociale (DCS) Thierry Apothéloz a présenté les contours définitifs de la réforme de l’aide sociale genevoise, le grand chantier de son mandat entamé en 2018. A un an des élections cantonales, le projet, qui doit désormais être examiné par le Grand Conseil, a peu de chances d’être sous toit avant la fin de la législature. Conscient du retard accumulé, le DCS table sur une entrée en vigueur début 2024.
A l’origine du projet: un constat d’échec. L’actuelle loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI) ne remplit pas ses objectifs de retour à l’emploi et coûte toujours plus cher. Pour endiguer l’augmentation des bénéficiaires (+76% en dix ans), Thierry Apothéloz entend investir dans le suivi social dans l’espoir d’économiser ensuite. La nouvelle mouture, baptisée loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité (LASLP) «correspond aux besoins du terrain, de la recherche et des associations», affirme le magistrat, soulignant la large consultation menée auprès d’une trentaine d’entités.
Inciter les bénéficiaires à travailler
Dans le détail, la réforme introduit plusieurs changements qui, sans être des «formules magiques», visent à réinsérer un maximum de bénéficiaires. Le fait de travailler, même à temps partiel, devrait par exemple être valorisé. «Aujourd’hui, une personne qui travaille à 50% ne gagne rien de plus que le montant de l’aide sociale. Si la réforme est adoptée, les 300 premiers francs issus de son activité professionnelle lui seront versés puis les 15% du salaire restant», précise Thierry Apothéloz, qui espère ainsi relever le taux d’activité des bénéficiaires, aujourd’hui de 16%. La mesure est également valable pour les apprentis jusqu’à 25 ans. Afin de faciliter l’accès à la formation et la reconversion professionnelle, la nouvelle loi veut par ailleurs lever le plafond aujourd’hui fixé à 30 ans.
Autre pistes: aider les personnes endettées ou sur le point de perdre leur logement, soutenir les indépendants, mais aussi simplifier les démarches administratives pour permettre aux assistants sociaux de se concentrer sur l’accompagnement social. Alors que l’Hospice général a bénéficié de 70 nouveaux postes en 2019 et 60 en 2022, aucun autre engagement n’est prévu pour l’heure.
224 millions de francs d’économies sur dix ans
Combien coûtera la réforme? En octobre dernier, le Conseil d’Etat, pointant le manque de projections chiffrées, avait demandé au ministre socialiste de revoir sa copie. Aujourd’hui, Thierry Apothéloz avance une économie de 224 millions de francs sur dix ans. «Trois variables permettent de déterminer cet impact financier positif», détaille le magistrat. La durée moyenne d’un passage à l’Hospice général qui devrait passer de vingtcinq mois en 2023 à vingt mois en 2028. Une augmentation du retour à l’emploi de 5700 personnes entre 2024 et 2027 puis de 3500 personnes chaque année à partir de 2028. Enfin, le nombre de personnes retombant à l’aide sociale devrait baisser de 29% à 20%.
Et si ces projections ne se réalisaient pas? Thierry Apothéloz admet qu’il s’agit de scénarios mais insiste: «Ce qui est sûr, c’est que si rien ne change l’Etat devra débourser 220 millions de francs supplémentaires sur la même période.»
Limiter les fraudes
Selon les scénarios, les trois premières années sous le nouveau régime sont considérées comme des investissements. Près de 30 millions de francs de dépenses supplémentaires sont ainsi prévus en 2024, 15 en 2025 et 3 en 2026, soit au total près de 50 millions de francs. Les économies interviendront lors des sept années suivantes.
Avec la simplification des procédures administratives au profit d’un système au forfait, le risque d’abus n’est pas exclu. Comment les prévenir? «Genève bénéficie du système de vérification le plus performant de Suisse qui permettra de limiter fortement les fraudes», argumente le ministre socialiste.
A droite, la députée PLR Véronique Kämpfen, vice-présidente de la Commission des affaires sociales, salue un «projet ambitieux qui a pris du temps à émerger». Si elle se félicite que l’insertion sociale et professionnelle soit enfin valorisée, elle espère davantage de transversalité entre les différents départements. «Notamment avec l’Instruction publique, sachant que 1700 jeunes entre 18 et 25 ans, la plupart sans formation, touchent actuellement l’aide sociale», souligne Véronique Kämpfen. En ce qui concerne les investissements envisagés, elle prévient que le PLR les étudiera attentivement et alerte sur l’importance d’instaurer un suivi et d’éventuelles mesures correctrices pour éviter un gaspillage des deniers publics.
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