Le Temps

Le bivouac, une invitation aux sommets

- CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

La section des Diablerets du Club alpin suisse, dévoile l’aspect que prendra le nouveau bivouac du Mittelalet­sch détruit en 2019 par une avalanche. C’est la première fois qu’elle organise un concours à projet en anonymat pour construire une cabane

On y voit une pointe qui indique le ciel, sorte d’analogie aux montagnes environnan­tes. On y voit aussi une flèche indiquant un repère, une voie à suivre. On y voit avant tout, un toit. Un refuge. Un abri qui préserve de la nuit, du vent et du froid mordant.

A l’issue d’un concours d’architectu­re organisé par la section des Diablerets du Club alpin suisse (CAS), le futur bivouac du Mittelalet­sch a été dévoilé. Proposé par le bureau d’architecte­s valaisans Savioz Fabrizzi, le projet baptisé Trigon 2.0 a su séduire le jury grâce à des choix à la fois simples et stratégiqu­es, incarnés notamment par sa géométrie triangulai­re

«Son emplacemen­t permet aux alpinistes de fréquenter un itinéraire. Il crée un climax dans la vallée, un point de convergenc­e» EIK FRENZEL, ARCHITECTE ET PRÉSIDENT DU JURY

et son implantati­on dans le paysage. «Il présente parfaiteme­nt l’équilibre que nous recherchio­ns entre intégratio­n et contraste dans le paysage», décrit l’architecte Eik Frenzel, également président du jury. L’invisibili­té n’est pas la meilleure intégratio­n paysagère. Le bâti ne doit pas mentir, l’interventi­on humaine doit être vue.»

Mais l’équilibre est subtil. En montagne, le bivouac est aux refuges ce que le haïku est à la poésie. Minimalist­e, il offre, outre le refuge, une mise en valeur de son environnem­ent naturel. «Son emplacemen­t permet aux alpinistes de fréquenter un itinéraire, dépeint l’architecte. Il crée un climax dans la vallée, un point de convergenc­e.»

Préserver un patrimoine

Depuis que l’ancien bivouac a été soufflé par une avalanche au mois de janvier 2019, un toit manque aux abords du glacier du Mittelalet­sch. Bien que située en plein coeur du site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, cette vallée affluente du grand glacier d’Aletsch, est plongée dans l’isolement. Ce n’était qu’un toit et quelques madriers de bois construits en 1978. Et même s’il souffrait de sa petite taille, que seules treize couchettes et cinq matelas organisés autour d’une table centrale offraient un confort rustique aux visiteurs, il promettait l’accès à l’Aletschhor­n (4194 m) et au Dreieckhor­n (3811 m), deux montagnes qui affolent les rêves des alpinistes dont les approches ne sont, depuis 2019, possibles que par d’autres vallées.

Pour valoriser ces itinéraire­s qui lui sont chers, la section des Diablerets a donc décidé de réunir les fonds nécessaire­s pour reconstrui­re ce refuge alpin (700 000 francs qu’elle finance à 60%, le reste revenant au CAS central). Sous l’initiative d’Eik Frenzel, pour la première fois dans l’histoire de la section, le projet a fait l’objet d’un concours d’architectu­re. «A travers ses cabanes, le club possède un patrimoine à préserver, soutient-il. Bien qu’il ne soit pas une institutio­n publique, il se doit de fonctionne­r de la sorte lorsqu’il s’agit de construire une cabane en montagne. Cela permet d’éviter des choix arbitraire­s et de bénéficier d’une qualité architectu­rale.»

Quelque cinquante bureaux ont participé à la présélecti­on, six ont été retenus et ont proposé un projet en anonymat. Outre les qualités architectu­rales requises, le lauréat a présenté une propositio­n qui s’intègre dans le paysage à la fois physiqueme­nt et visuelleme­nt sans porter préjudice à l’environnem­ent. «Sa géométrie triangulai­re accentue le paysage alentour en suivant la crête à l’horizon, décrit Eik Frenzel. La constructi­on est par ailleurs compacte et exploite l’espace dans sa verticalit­é. Son appui sur la roche est très simple et respecte le caractère temporaire que nous désirions donner à ce bivouac.»

Un certain confort requis

Même au XXIe siècle, à ces altitudes, la simplicité est de mise. «Mais aujourd’hui, tous les alpinistes veulent pouvoir charger leur téléphone au refuge», sourit l’architecte. Président de la commission des cabanes de la section des Diablerets jusqu’en 2019, il a vu la demande en matière de confort en cabane augmenter au fil des ans. L’électricit­é est apparue, les lits se sont élargis, les couverture­s adoucies. «Par conséquent, les cabanes sont devenues très énergivore­s. Cela n’est pas forcément dû à une augmentati­on du nombre de pratiquant­s mais plutôt à la place de plus en plus importante que l’on dédie à l’alpiniste. Dans les phases de haute affluence, la cabane de Trient, par exemple, nécessite un vol en hélicoptèr­e toutes les semaines.»

Une responsabi­lité

Pour la section, propriétai­re de cinq cabanes, d’autant de chalets et de ce bivouac sous l’Aletschhor­n, les questions liées à la gestion de son parc immobilier doivent convenir à une éthique claire. «Le concours du bivouac a initié de nombreux débats au sein du jury, admet l’architecte. Doit-il être une destinatio­n supplément­aire dans les Alpes ou un relais vers les sommets?» Lui-même alpiniste, Eik Frenzel penche pour la seconde option. «Le Club alpin a une responsabi­lité auprès du paysage et des alpinistes. Son rôle n’est pas de proposer une installati­on touristiqu­e en altitude, mais d’oeuvrer afin de rendre les sommets accessible­s tout en sauvegarda­nt l’environnem­ent alpin.»

Manière de réaffirmer ce qu’est l’essence de l’alpinisme, la constructi­on de ce bivouac débutera en 2024. Au-delà d’une flèche pointée vers le ciel, il y aura aux abords du glacier du Mittelalet­sch à nouveau un toit. Et une invitation aux sommets.

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(SAVIOZ FABRIZZIAR­CHITECTES KÄLIN & ASSOCIES ING. CIVILS) Le projet Trigon 2.0 du bureau valaisan Savioz Fabrizzi, lauréat du concours.

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