Le bivouac, une invitation aux sommets
La section des Diablerets du Club alpin suisse, dévoile l’aspect que prendra le nouveau bivouac du Mittelaletsch détruit en 2019 par une avalanche. C’est la première fois qu’elle organise un concours à projet en anonymat pour construire une cabane
On y voit une pointe qui indique le ciel, sorte d’analogie aux montagnes environnantes. On y voit aussi une flèche indiquant un repère, une voie à suivre. On y voit avant tout, un toit. Un refuge. Un abri qui préserve de la nuit, du vent et du froid mordant.
A l’issue d’un concours d’architecture organisé par la section des Diablerets du Club alpin suisse (CAS), le futur bivouac du Mittelaletsch a été dévoilé. Proposé par le bureau d’architectes valaisans Savioz Fabrizzi, le projet baptisé Trigon 2.0 a su séduire le jury grâce à des choix à la fois simples et stratégiques, incarnés notamment par sa géométrie triangulaire
«Son emplacement permet aux alpinistes de fréquenter un itinéraire. Il crée un climax dans la vallée, un point de convergence» EIK FRENZEL, ARCHITECTE ET PRÉSIDENT DU JURY
et son implantation dans le paysage. «Il présente parfaitement l’équilibre que nous recherchions entre intégration et contraste dans le paysage», décrit l’architecte Eik Frenzel, également président du jury. L’invisibilité n’est pas la meilleure intégration paysagère. Le bâti ne doit pas mentir, l’intervention humaine doit être vue.»
Mais l’équilibre est subtil. En montagne, le bivouac est aux refuges ce que le haïku est à la poésie. Minimaliste, il offre, outre le refuge, une mise en valeur de son environnement naturel. «Son emplacement permet aux alpinistes de fréquenter un itinéraire, dépeint l’architecte. Il crée un climax dans la vallée, un point de convergence.»
Préserver un patrimoine
Depuis que l’ancien bivouac a été soufflé par une avalanche au mois de janvier 2019, un toit manque aux abords du glacier du Mittelaletsch. Bien que située en plein coeur du site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, cette vallée affluente du grand glacier d’Aletsch, est plongée dans l’isolement. Ce n’était qu’un toit et quelques madriers de bois construits en 1978. Et même s’il souffrait de sa petite taille, que seules treize couchettes et cinq matelas organisés autour d’une table centrale offraient un confort rustique aux visiteurs, il promettait l’accès à l’Aletschhorn (4194 m) et au Dreieckhorn (3811 m), deux montagnes qui affolent les rêves des alpinistes dont les approches ne sont, depuis 2019, possibles que par d’autres vallées.
Pour valoriser ces itinéraires qui lui sont chers, la section des Diablerets a donc décidé de réunir les fonds nécessaires pour reconstruire ce refuge alpin (700 000 francs qu’elle finance à 60%, le reste revenant au CAS central). Sous l’initiative d’Eik Frenzel, pour la première fois dans l’histoire de la section, le projet a fait l’objet d’un concours d’architecture. «A travers ses cabanes, le club possède un patrimoine à préserver, soutient-il. Bien qu’il ne soit pas une institution publique, il se doit de fonctionner de la sorte lorsqu’il s’agit de construire une cabane en montagne. Cela permet d’éviter des choix arbitraires et de bénéficier d’une qualité architecturale.»
Quelque cinquante bureaux ont participé à la présélection, six ont été retenus et ont proposé un projet en anonymat. Outre les qualités architecturales requises, le lauréat a présenté une proposition qui s’intègre dans le paysage à la fois physiquement et visuellement sans porter préjudice à l’environnement. «Sa géométrie triangulaire accentue le paysage alentour en suivant la crête à l’horizon, décrit Eik Frenzel. La construction est par ailleurs compacte et exploite l’espace dans sa verticalité. Son appui sur la roche est très simple et respecte le caractère temporaire que nous désirions donner à ce bivouac.»
Un certain confort requis
Même au XXIe siècle, à ces altitudes, la simplicité est de mise. «Mais aujourd’hui, tous les alpinistes veulent pouvoir charger leur téléphone au refuge», sourit l’architecte. Président de la commission des cabanes de la section des Diablerets jusqu’en 2019, il a vu la demande en matière de confort en cabane augmenter au fil des ans. L’électricité est apparue, les lits se sont élargis, les couvertures adoucies. «Par conséquent, les cabanes sont devenues très énergivores. Cela n’est pas forcément dû à une augmentation du nombre de pratiquants mais plutôt à la place de plus en plus importante que l’on dédie à l’alpiniste. Dans les phases de haute affluence, la cabane de Trient, par exemple, nécessite un vol en hélicoptère toutes les semaines.»
Une responsabilité
Pour la section, propriétaire de cinq cabanes, d’autant de chalets et de ce bivouac sous l’Aletschhorn, les questions liées à la gestion de son parc immobilier doivent convenir à une éthique claire. «Le concours du bivouac a initié de nombreux débats au sein du jury, admet l’architecte. Doit-il être une destination supplémentaire dans les Alpes ou un relais vers les sommets?» Lui-même alpiniste, Eik Frenzel penche pour la seconde option. «Le Club alpin a une responsabilité auprès du paysage et des alpinistes. Son rôle n’est pas de proposer une installation touristique en altitude, mais d’oeuvrer afin de rendre les sommets accessibles tout en sauvegardant l’environnement alpin.»
Manière de réaffirmer ce qu’est l’essence de l’alpinisme, la construction de ce bivouac débutera en 2024. Au-delà d’une flèche pointée vers le ciel, il y aura aux abords du glacier du Mittelaletsch à nouveau un toit. Et une invitation aux sommets.
■