Nikolay Khozyainov, l’incandescence au clavier
A 29 ans, ce pianiste russe combine une virtuosité ébouriffante et une éloquence qui sied à Chopin. Il jouait mardi soir au bout du Léman
Des doigts qui filent à toute allure sur le clavier, des tours de passe-passe en reprenant des airs célèbres comme la Habanera du Carmen de Bizet ou La donna è mobile de Verdi, qu'il transpose au clavier: Nikolay Khozyainov est un phénomène. Invité par l'association Les Amis d'Arthur Rubinstein, ce virtuose russe de 29 ans donnait un récital mardi soir au Conservatoire de musique de Genève.
Orchestration des plans sonores
Pianiste, compositeur et improvisateur, couronné dans plusieurs concours internationaux, il possède un vaste répertoire. Veillant à la progression des nuances dès les toutes premières mesures, il joue avec panache et noblesse la Polonaise héroïque de Chopin. Les redoutables octaves staccato à la main gauche, au coeur de la Polonaise, n'ont pas de secret pour lui.
Il fait chanter la main droite – sur une conduite de la basse est très maîtrisée – dans le Nocturne opus 48 numéro 1. Après un épisode central semblable à un choral, il exacerbe la dimension plus fougueuse à la fin du Nocturne: le voici qui se déchaîne dans un torrent de passion irrépressible! Il orchestre les plans sonores et fait ressortir les voix médianes si importantes chez Chopin, notamment dans la Barcarolle. Occasionnellement, il s'emporte, son piano sonne un peu dur et fort, là où l'on voudrait plus de rondeur.
Le pianiste russe met en relief la prodigieuse invention de la musique de Scriabine. On le sent très à l'aise dans les trois Etudes de l'opus 8. L'écriture plus expérimentale de la Sonate numéro 5 transparaît dans une lecture organique quant à l'enchaînement des séquences, au-delà du côté très parcellaire de la partition.
En seconde partie, Nikolay Khozyainov s'emparait de l'Allegretto de la 7e Symphonie de Beethoven transcrite par Liszt. Le jeu du pianiste s'y fait très orchestral, tout comme dans La Sonate appassionata. C'est une lecture très minérale et architecturale. Après un andante con moto bien timbré, que l'on pourrait souhaiter toutefois plus éthéré, il plonge dans le génial finalecomparable à un magma en fusion. Prise à un tempo ébouriffant, la coda est prodigieuse de virtuosité, concluant la Sonate sur un geste rageur et ravageur.
Nikolay Khozyainov a fait preuve de sa maestria dans une série de bis de haute voltige. On citera la Carmen Fantaisie de Busoni, revue à sa sauce, et une étonnante improvisation de son cru sur un thème hébraïque. A force d'aligner les gestes virtuoses aux effets retentissants (nul doute qu'il en a les moyens), le piano en devient presque «bruyant». Mais voilà qu'il calme le jeu dans une interprétation délicate du Clair de lune de Debussy. Une plage d'onirisme vient conclure ce récital très applaudi par le public. ■