Armer l’Ukraine? La gauche allemande se déchire
On n’efface pas 75 ans de pacifisme en quelques jours. Si la décision de porter le budget militaire à 100 milliards d’euros ces prochaines années est globalement bien accueillie par les Allemands, celle de transférer des armes lourdes à l’Ukraine, y compris des canons et des chars, enflamme les esprits. L’Allemagne ne risque-t-elle pas de devenir cobelligérante d’une guerre qui la placerait de nouveau face à la Russie? C’est ce que dénonçait dans une tribune de la revue Emma la journaliste et féministe Alice Schwarzer ainsi que plusieurs personnalités du monde de la culture. Ce texte sous forme de lettre ouverte à Olaf Scholz avait déjà récolté 250 000 signatures ce week-end. Dans une interview, la même Alice Schwarzer critique les provocations du président ukrainien Volodymyr Zelensky, notamment lorsqu’il invite les dirigeants allemands à se rendre à Kiev le 9 mai, jour de la célébration de la victoire soviétique sur les nazis en 1945. Quelques jours plus tard, une autre lettre ouverte publiée dans l’hebdomadaire
Die Zeit félicitait au contraire le chancelier allemand de prendre enfin ses responsabilités. «C’est en défendant l’indépendance et la liberté de l’Ukraine que nous montrerons que nous prenons au sérieux le «plus jamais ça» allemand», soulignent les 57 signataires dont l’essayiste Ralf Fücks, figure historique des Verts, et l’écrivaine Herta Müller, Prix Nobel de littérature 2009. Un débat dont la tournure provoque le malaise de Jürgen Habermas, grande figure philosophique de l’Allemagne d’après-guerre comme le relève Le Monde. S’il défend l’aide, y compris militaire, apportée à l’Ukraine, il s’inquiète du ton belliciste des plus jeunes figures politiques, notamment l’écologiste Annalena Baerbock, et de ceux qui pointent du doigt les hésitations du gouvernement allemand au nom de la morale. L’Allemagne fait à nouveau preuve d’une capacité unique à questionner son passé pour établir ses responsabilités présentes face au retour de la guerre en Europe.