Locarno se mobilise pour la «Lex Netflix»
La ville tessinoise qui se profile toujours davantage comme hub du septième art se mobilise contre le référendum du 15 mai. La modification de la loi sur le cinéma servira non seulement l’industrie mais aussi l’économie dans son ensemble
Le 15 mai, la Locarno du cinéma se positionnera en faveur de la «Lex Netflix», contre le référendum appelant le peuple à la rejeter. Proposée par le Conseil fédéral et approuvée par le parlement, la modification de la loi sur le cinéma contraindrait les plateformes de streaming et les sociétés distribuant des contenus audiovisuels en ligne (films ou séries) à investir au moins 4% de leurs recettes brutes générées en Suisse dans la production nationale.
La nouvelle loi peut en tout cas compter sur le soutien du Locarno Film Festival. Son président, Marco Solari, trouve juste que ceux qui opèrent en Suisse réinvestissent une partie de leurs revenus dans la production audiovisuelle autochtone. «Au fil des ans, le Festival a constaté que l’application de ce principe dans d’autres pays a favorisé la diversité et la richesse de leurs industries cinématographiques», observe-t-il, ajoutant que «cela a permis d’expérimenter des formats innovants et de créer des produits s’adressant à de nouveaux publics, avec une visibilité et un retour économique importants».
Il est crucial de ne pas manquer cette opportunité de développement pour tous les acteurs du secteur audiovisuel, estime-t-il, soulignant que le Festival a toujours oeuvré en faveur du renouvellement du langage audiovisuel, «tout en soutenant la centralité du cinéma et du visionnage collectif».
Le secteur de la production audiovisuelle occupe une place de plus en plus importante dans l’économie de nombreux pays, soutient Marco Solari, notamment parce qu’une grande partie de la communication contemporaine est basée sur des images en mouvement. «Il est donc stratégique que la Suisse renforce sa position dans ce domaine. Il suffit de voir les bénéfices que les cinémas présents à Locarno apportent à toute la région: tant pour le tourisme et la promotion du territoire, que pour les jeunes, avec la création d’emplois et de nouvelles formations.»
Le maire de Locarno renchérit
Pour la région, il s’agit de faire en sorte que l’argent des abonnements aux plateformes virtuelles ne finisse pas entièrement à l’étranger, mais contribue, comme dans les pays voisins, à la production cinématographique locale, renchérit Alain Scherrer, maire de Locarno, provoquant d’importantes retombées économiques dans la région.
«En effet, un film ne donne pas seulement du travail aux techniciens et aux professionnels de l’audiovisuel, mais aussi à toute une série d’entreprises offrant des services variés.» Les chiffres confirment l’apport fondamental de la production cinématographique pour l’économie dans son ensemble, ainsi que pour le tourisme et l’hôtellerie, avance-t-il, en particulier pour le Tessin et Locarno, laquelle mise gros sur le secteur audiovisuel.
Le pari de la ville
La ville se profile effectivement toujours plus comme une plaque tournante du cinéma. Le maire souligne que dans la vieille ville, l’édifice du Palacinema héberge notamment le Locarno Film Festival, le Conservatoire international de sciences audiovisuelles (CISA; une école supérieure spécialisée qui forme des cinéastes), l’Université de la Suisse italienne (USI), qui a décidé de créer une chaire en audiovisuel et la Ticino Film Commission (TFC). «Celle-ci, définie comme projet exemplaire par le Secrétariat d’Etat à l’économie, non seulement consolide le cinéma local, mais surtout elle attire les productions audiovisuelles nationales et internationales, générant des retombées financières et une visibilité à notre territoire.»
«Le canton permet de filmer tant des glaciers, des palmiers, des lacs que des montagnes, cela dans un tout petit rayon, détaille le réalisateur Niccolò Castelli, directeur de la TFC; nous pouvons faire le pont entre l’Europe méridionale et l’Europe occidentale.» D’ailleurs, le rapport financier des dernières années montre que le Tessin est vraiment au coeur du réseau européen. Treize millions et demi de francs y ont été dépensés en quatre ans; 2,8 millions pour la seule année 2020.
Il fait valoir l’importance de faire partie de l’Europe dans ce nouveau secteur qui s’est énormément développé pendant la pandémie. «Ces deux dernières années, le streaming a littéralement explosé!» Dans presque tous les pays du continent, il existe déjà une obligation pour les plateformes de streaming d’investir – allant même jusqu’à plus de 20% de leurs revenus – sur le territoire, rappelle-t-il. «Nous devons avancer dans la même direction, sinon nous risquons l’exclusion. Des entreprises ne vont jamais investir dans un pays si elles n’ont pas l’obligation de le faire.»
Pour le Tessin, la «Lex Netflix» est particulièrement importante, soutient-il. «Comme minorité linguistique, nous dépendons d’un bassin italophone plus large, l’Italie. Dans un contexte où il faut toujours plus coproduire avec d’autres pays, la loi renforcera notre collaboration avec la Péninsule.» Si elle devait être rejetée? «Ce serait problématique; n’étant pas obligés d’investir en Suisse, Netflix et consorts produiraient tout en Italie. Même pour raconter une histoire suisse, ils iraient sur le lac de Côme plutôt que sur le Ceresio.»
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