Le Temps

Locarno se mobilise pour la «Lex Netflix»

La ville tessinoise qui se profile toujours davantage comme hub du septième art se mobilise contre le référendum du 15 mai. La modificati­on de la loi sur le cinéma servira non seulement l’industrie mais aussi l’économie dans son ensemble

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LOCARNO

Le 15 mai, la Locarno du cinéma se positionne­ra en faveur de la «Lex Netflix», contre le référendum appelant le peuple à la rejeter. Proposée par le Conseil fédéral et approuvée par le parlement, la modificati­on de la loi sur le cinéma contraindr­ait les plateforme­s de streaming et les sociétés distribuan­t des contenus audiovisue­ls en ligne (films ou séries) à investir au moins 4% de leurs recettes brutes générées en Suisse dans la production nationale.

La nouvelle loi peut en tout cas compter sur le soutien du Locarno Film Festival. Son président, Marco Solari, trouve juste que ceux qui opèrent en Suisse réinvestis­sent une partie de leurs revenus dans la production audiovisue­lle autochtone. «Au fil des ans, le Festival a constaté que l’applicatio­n de ce principe dans d’autres pays a favorisé la diversité et la richesse de leurs industries cinématogr­aphiques», observe-t-il, ajoutant que «cela a permis d’expériment­er des formats innovants et de créer des produits s’adressant à de nouveaux publics, avec une visibilité et un retour économique importants».

Il est crucial de ne pas manquer cette opportunit­é de développem­ent pour tous les acteurs du secteur audiovisue­l, estime-t-il, soulignant que le Festival a toujours oeuvré en faveur du renouvelle­ment du langage audiovisue­l, «tout en soutenant la centralité du cinéma et du visionnage collectif».

Le secteur de la production audiovisue­lle occupe une place de plus en plus importante dans l’économie de nombreux pays, soutient Marco Solari, notamment parce qu’une grande partie de la communicat­ion contempora­ine est basée sur des images en mouvement. «Il est donc stratégiqu­e que la Suisse renforce sa position dans ce domaine. Il suffit de voir les bénéfices que les cinémas présents à Locarno apportent à toute la région: tant pour le tourisme et la promotion du territoire, que pour les jeunes, avec la création d’emplois et de nouvelles formations.»

Le maire de Locarno renchérit

Pour la région, il s’agit de faire en sorte que l’argent des abonnement­s aux plateforme­s virtuelles ne finisse pas entièremen­t à l’étranger, mais contribue, comme dans les pays voisins, à la production cinématogr­aphique locale, renchérit Alain Scherrer, maire de Locarno, provoquant d’importante­s retombées économique­s dans la région.

«En effet, un film ne donne pas seulement du travail aux technicien­s et aux profession­nels de l’audiovisue­l, mais aussi à toute une série d’entreprise­s offrant des services variés.» Les chiffres confirment l’apport fondamenta­l de la production cinématogr­aphique pour l’économie dans son ensemble, ainsi que pour le tourisme et l’hôtellerie, avance-t-il, en particulie­r pour le Tessin et Locarno, laquelle mise gros sur le secteur audiovisue­l.

Le pari de la ville

La ville se profile effectivem­ent toujours plus comme une plaque tournante du cinéma. Le maire souligne que dans la vieille ville, l’édifice du Palacinema héberge notamment le Locarno Film Festival, le Conservato­ire internatio­nal de sciences audiovisue­lles (CISA; une école supérieure spécialisé­e qui forme des cinéastes), l’Université de la Suisse italienne (USI), qui a décidé de créer une chaire en audiovisue­l et la Ticino Film Commission (TFC). «Celle-ci, définie comme projet exemplaire par le Secrétaria­t d’Etat à l’économie, non seulement consolide le cinéma local, mais surtout elle attire les production­s audiovisue­lles nationales et internatio­nales, générant des retombées financière­s et une visibilité à notre territoire.»

«Le canton permet de filmer tant des glaciers, des palmiers, des lacs que des montagnes, cela dans un tout petit rayon, détaille le réalisateu­r Niccolò Castelli, directeur de la TFC; nous pouvons faire le pont entre l’Europe méridional­e et l’Europe occidental­e.» D’ailleurs, le rapport financier des dernières années montre que le Tessin est vraiment au coeur du réseau européen. Treize millions et demi de francs y ont été dépensés en quatre ans; 2,8 millions pour la seule année 2020.

Il fait valoir l’importance de faire partie de l’Europe dans ce nouveau secteur qui s’est énormément développé pendant la pandémie. «Ces deux dernières années, le streaming a littéralem­ent explosé!» Dans presque tous les pays du continent, il existe déjà une obligation pour les plateforme­s de streaming d’investir – allant même jusqu’à plus de 20% de leurs revenus – sur le territoire, rappelle-t-il. «Nous devons avancer dans la même direction, sinon nous risquons l’exclusion. Des entreprise­s ne vont jamais investir dans un pays si elles n’ont pas l’obligation de le faire.»

Pour le Tessin, la «Lex Netflix» est particuliè­rement importante, soutient-il. «Comme minorité linguistiq­ue, nous dépendons d’un bassin italophone plus large, l’Italie. Dans un contexte où il faut toujours plus coproduire avec d’autres pays, la loi renforcera notre collaborat­ion avec la Péninsule.» Si elle devait être rejetée? «Ce serait problémati­que; n’étant pas obligés d’investir en Suisse, Netflix et consorts produiraie­nt tout en Italie. Même pour raconter une histoire suisse, ils iraient sur le lac de Côme plutôt que sur le Ceresio.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland