Nikolaï Patrouchev, le cardinal gris de Poutine
Ils ont le même background, partagent la même vision du monde. Sérieux et travailleur, idéologue, l’ancien directeur du FSB est peut-être devenu le conseiller le plus important du maître du Kremlin et l’un des «faucons en chef» du régime
«Washington a divisé le monde en vassaux et en ennemis»
NIKOLAÏ PATROUCHEV, CONSEILLER DE VLADIMIR POUTINE
Début 2014. L’annexion de la Crimée s’apprête à être lancée par la Russie. Un tournant majeur décidé par Vladimir Poutine avec, à l’époque déjà, un petit cercle de proches collaborateurs. Parmi eux Nikolaï Patrouchev, le puissant secrétaire du Conseil de sécurité russe. Huit ans plus tard, rebelote: le leader russe, isolé et radicalisé, a décidé presque seul d’intervenir en Ukraine. Une minuscule poignée d’individus aurait été mis dans la confidence et consultés au préalable. Dont Nikolaï Patrouchev.
Originaire de Saint-Pétersbourg comme Poutine, de la même génération (ils sont nés en 1951 et 1952), Patrouchev est lui aussi un agent du renseignement de carrière. Dans la région de Leningrad, alors que l’URSS s’approche de l’implosion, le jeune ingénieur naval est débauché et grimpe les échelons du KGB local. Sans pour autant croiser Poutine, qui sera ensuite posté à Dresde en Allemagne de l’Est.
«Un tchékiste pur et dur»
Les deux hommes ne sont pas considérés comme des amis proches. Le président russe ne part pas en vacances ou à la pêche avec le discret Patrouchev comme il le fait avec le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, ne le fréquente pas aussi assidûment que le baron des matières premières et magnat de la télévision officielle Iouri Kovaltchouk. Mais ils se vouent un respect et une confiance totale, façonnés au fil des années à travailler en parallèle à la mise en place d’un système autoritaire robuste et efficace, dans lequel le FSB – successeur du KGB – occupera graduellement une position dominante. «Nikolaï Patrouchev? Un tchékiste pur et dur, prêt à envoyer tout le monde en prison sauf lui», dira à son sujet l’ancien oligarque en exil Sergueï Pougatchev [la «Tchéka» est le premier nom de l’ancêtre du KGB].
En 1998, Poutine est nommé directeur du service de sécurité intérieure aux 300 000 collaborateurs avant de partir pour le Kremlin en 1999. Son remplaçant? Patrouchev, qui restera directeur du FSB jusqu’en 2008. Il y placera à sa suite son homme de confiance Alexandre Bortnikov. De l’avis de nombreux observateurs, le «Monsieur Renseignement» de Poutine est, sans doute depuis 2014, devenu l’un de ses principaux conseillers en sécurité et en politique extérieure.
Une «caricature» du président
«Tout le renseignement produit en Russie par les différentes agences passe par son secrétariat, il a donc accès à tout», commente le chercheur Mark Galeotti, spécialiste des siloviki russes, les dignitaires des forces de l’ordre dont Patrouchev est l’une des têtes de proue. «Poutine l’a rencontré plus que quiconque ces dernières années. Son côté carré, bosseur sans fanfaronnade, est apprécié par le pouvoir. Et ses idées sont en ligne avec celles du président, parfois même leur caricature.»
Patrouchev, qui n’est pas d’extraction oligarchique, est réputé pour vivre simplement, sans faste apparent. On dit de lui qu’il a l’esprit rapide et affûté, traite avec respects ses subalternes. «C’est vrai qu’il a cette aura mystérieuse à Moscou et sans doute beaucoup d’influence», témoignage la correspondante diplomatique du journal Kommersant Elena Tchernenko, qui l’a interviewé deux fois. Le patron du Conseil de sécurité n’a-t-il pas fait de son numéro 2, l’ancien «libéral» Dmitri Medvedev, un faucon? «Je me souviens que je n’ai jamais été aussi nerveuse avant une interview qu’avant ma première avec lui, en 2015. Car il connaît très bien ses dossiers.» Lors de cet entretien, publié traduit dans le Guardian, le silovik y détaillait déjà une vision du monde empreinte de revanchisme, de désillusion et surtout de méfiance face à l’Occident, «typique des anciens agents du KGB élevés pendant la guerre froide», observe Galeotti.
De la paranoïa également, Patrouchev assurant que Madeleine Albright (ancienne secrétaire d’Etat américaine) aurait devisé sur la nécessité de découper la Russie en deux, afin de piller ses ressources naturelles. Pour Poutine et Patrouchev, l’Occident et l’OTAN sont des forces naturellement hostiles à la Russie. L’Ukraine, elle, est devenue leur marionnette. «Nikolaï Patrouchev se voit comme un servant de l’Etat, dont la mission est de préserver la Russie et ses intérêts», poursuit Tchernenko. «Il croit réellement à ce qu’il dit.»
En 2000, il déclarait que les agents du FSB étaient la «nouvelle noblesse» russe: de vrais serviteurs, fiables et patriotes, dont l’accession aux postes de pouvoir politique était justifiée. L’homme de 70 ans, désormais faucon en chef à Moscou, est récemment sorti de l’ombre médiatique. Celui dont la parole était jadis rare a ainsi donné pas moins de quatre longues interviews au journal Argumenty i fakty de mai 2020 à novembre 2021, en plus d’une autre à Kommersant.
En voie de radicalisation?
L’occasion de balayer notamment les «révolutions de couleur» dans l’espace post-soviétique comme fabriquées à l’Ouest, et de pointer la responsabilité des Etats-Unis dans les désordres mondiaux. Mais son récent entretien dans le journal officiel Rossiskaya Gazeta a encore davantage fait parler. «L’homme le plus dangereux de Moscou» selon Mark Galeotti semble s’être lui aussi radicalisé. Dans ce «manifeste» des durs du régime, Patrouchev explique que «Washington a divisé le monde en vassaux et en ennemis», dont la Russie, qu’il faudrait détruire car elle refuserait de se soumettre aux volontés américaines. Au passage: quelques tirades allumées contre les réfugiés ukrainiens porteurs de virus, le trafic d’organes en Ukraine ou encore les théories du genre en vogue en Occident.
Nikolaï Patrouchev, alter ego de Vladimir Poutine, représente le nouveau «parti de la guerre», soutien inconditionnel de l’opération militaire et qui pousserait même à l’escalade et à la déclaration de guerre officielle. Reste à voir ce que décide et annonce le chef du Kremlin, qui doit prendre la parole aujourd’hui pour la traditionnelle parade du Jour de la victoire.