«Vladimir Poutine déshonore nos ancêtres»
Organisée par un réseau de Russes opposés à la guerre en Ukraine, une manifestation a réuni une centaine de personnes ce dimanche sur la place des Nations à Genève. Elle condamnait la commémoration de la Grande Victoire de 1945, célébrée le 9 mai à Moscou, que le Kremlin utilise comme vitrine «pour justifier son invasion en Ukraine»
Le 7 mai, la place des Nations devait être le terrain de jeu du Régiment immortel, rassemblement chantant la gloire passée – mais également présente – de l’armée russe. Rattrapée par la polémique, cette manifestation pro-Poutine avait été avortée à la dernière minute par les organisateurs. Le lendemain, dimanche 8 mai, elle laisse finalement toute la place à un rassemblement pacifiste qui s’était justement organisé en réaction au défilé du Régiment immortel.
Coordonnée par le réseau genevois de Russes opposés à la guerre en Ukraine, la manifestation a réuni une petite centaine de personnes aux abords de la sculpture Broken Chair. De nombreux Russes, mais également des Ukrainiens et des associations genevoises se sont partagé le micro pour faire passer un message clair: la guerre en Ukraine doit s’arrêter immédiatement.
Parmi les organisatrices de la manifestation, Maria est «rassurée» de voir qu’elle n’est pas la seule Russe à condamner les actions de son gouvernement. Elle regarde autour d’elle, salue quelques visages familiers, se réjouit de nouveaux arrivants inconnus. Depuis quelques mois, son cercle de connaissances s’est passablement élargi. Hélas pour de mauvaises raisons. «Malheureusement, on se rassemble souvent, le gouvernement russe nous donne beaucoup d’occasions… Mais croyez-moi, j’aimerais beaucoup ne pas avoir à le faire.» Pour organiser la mobilisation, Maria passe par le réseau d’échange Telegram. Combien sont-ils de Russes en Suisse opposés à la guerre? «Difficile de chiffrer, il n’y a rien d’officiel. Mais sur Telegram, nous sommes 300 au niveau suisse, et une trentaine ici à Genève. Après, c’est compter sans tous les pacifistes qui n’osent pas afficher leur opposition à Poutine…» Même si ce dernier est à 3000 kilomètres, ses menaces répressives (l’usage du mot «guerre» est passible d’emprisonnement) fonctionnent jusqu’en Suisse. Certaines personnes craignent les appareils photos, «de peur d’être surveillées et de mettre en danger leur famille restée au pays», précise Maria.
Quelques mètres plus loin, un drapeau blanc-bleu-blanc – inconnu des manuels de géographie – flotte au vent. De quel drapeau s’agit-il? «C’est celui de la Russie pacifique», éclaire un manifestant. La bande rouge, «symbole du sang», a été remplacée par une bande blanche. «C’est l’oeuvre de Mikhaïl Khodorkovski, grand homme d’affaires russe que Poutine a emprisonné pendant dix ans… Aujourd’hui, il réside à Rapperswil, c’est lui qui a créé ce drapeau au début de la guerre, explique son porte-étendard. C’est devenu le signe de ralliement de tous les pacifistes.» Pendant que le monde des adultes s’alarme du front ukrainien, des enfants courent un peu partout. Passant entre les jambes de ceux qui écoutent les discours, ils semblent bien peu inquiets de la détresse de leurs aînés. De leur côté, les forces de l’ordre sont moins détendues. Deux policiers passent vérifier que tout se déroule sans heurts. Bien que sa manifestation ait été annulée, le Régiment immortel a laissé des traces. Le nom de son organisatrice, Elvira Voskresenskaia, est sur toutes les lèvres. «Vous saviez que sa demande pour le défilé date du jour même de l’invasion le 24 février? Difficile de croire à la coïncidence…»
«Poutine joue avec des bribes de l’Histoire»
Pour l’assemblée d’antimilitaristes, difficile de voir le jour de la Grande Victoire comme une banale leçon d’histoire. Représentant du comité Solidarité Ukraine, Dario Lopreno tempête contre «l’escroquerie intellectuelle de Poutine». Pour le syndicaliste, impossible de voir la parade du 9 mai comme une commémoration innocente: «Le voir s’emparer de bribes de l’Histoire et instrumentaliser les immenses sacrifices des soldats soviétiques pour parvenir à ses fins impérialistes, c’est révoltant!»
Directement concernée, ses aïeuls ayant participé à repousser l’Allemagne nazie en 1945, Maria partage cette analyse: «Mes propres ancêtres se sont battus pour faire tomber le fascisme en Europe. Mais aujourd’hui, Poutine utilise – et déshonore – ces héros du passé à des fins propagandistes… Et ça, nous ne pouvons pas l’accepter.» Lundi, elle ne regardera pas le défilé du Régiment immortel à la télévision, «mais j’irai lire les extraits de discours les plus stupides sur les réseaux sociaux.» ■
Certaines personnes craignent les appareils photos, de peur d’être surveillées et de mettre en danger leur famille restée au pays