Le Temps

Unige: les étudiants musulmans prieront coûte que coûte

- LUCAS VUILLEUMIE­R, PROTESTINF­O

Malgré une interdicti­on formelle de l’Université de Genève et la main tendue du temple de Plainpalai­s en 2018, les étudiants musulmans continuero­nt de faire leurs cinq prières quotidienn­es sur le campus, et relancent une pétition en ligne

Le 21 avril, un article paraît dans Topo, la revue estudianti­ne de l’Université de Genève, dans lequel Kaouthar Najim relate le quotidien d’étudiants musulmans réduits à prier dans une cage d’escalier du campus. La raison? L’université ne prévoit pas de local permettant aux étudiants les plus pratiquant­s d’effectuer leurs cinq prières quotidienn­es. Un statu quo qui dure depuis quatre ans, mais qui aujourd’hui s’envenime.

L’article dénonce en effet des faits de «provocatio­n»: «Des affiches montrant la page de couverture de Charlie Hebdo avec des représenta­tions sensibles touchant à la religion musulmane ont été collées aux murs de la cage d’escalier», écrit encore l’étudiante, qui illustre son papier avec l’image d’un tapis de prière jeté dans une poubelle. Une informatio­n confirmée par Otmane El Ainouni, membre de l’Associatio­n du monde arabe de l’Université de Genève (Amage). Ce dernier relève que les étudiants musulmans, connectés au même groupe WhatsApp, s’y seraient envoyé ces photos, déplorant qu’un climat délétère soit en train de s’installer, sans que cela ne suscite de réaction de la part de l’institutio­n.

Loi sur la laïcité

Si la querelle avec l’institutio­n dure depuis quatre ans, la situation commence à s’envenimer méchamment entre les étudiants. Or, malgré les demandes répétées pour obtenir un tel local de prière, il leur est refusé, car l’utilisatio­n souhaitée serait illégale. En effet, la loi sur la laïcité de l’Etat, actualisée en 2018, stipule que toute activité de culte est interdite dans l’espace public, comme l’explique clairement le recteur, Yves Flückiger, dans son refus d’entrer en matière: «L’Université de Genève garantit la liberté de conscience et de croyance ainsi qu’une stricte neutralité religieuse, d’où l’interdicti­on de toute activité cultuelle dans tous ses bâtiments.»

Pourtant, à l’Université de Genève existe une aumônerie chrétienne (protestant­e et catholique), ce qui, selon Hafid Ouardiri, ancien porte-parole de la mosquée de Genève et directeur de la Fondation de l’entre-connaissan­ce, constitue «une forme d’injustice»: «L’existence d’une aumônerie chrétienne est forcément liée de près ou de loin à l’expression du culte», pose-t-il. Un postulat dont se défend Jean-Michel Perret, aumônier protestant, qui rappelle être «locataire de l’université» et n’exercer «ni culte, ni prière» au sein de son infrastruc­ture. D’ailleurs, rappelle-t-il, «lorsque des imams étaient venus étudier à la Faculté de théologie, ils avaient expresséme­nt demandé de pouvoir venir prier chez nous. Ce que nous avions légalement dû refuser.»

Mais quelle est précisémen­t la demande des étudiants? La création d’une «salle de méditation», mentionne une pétition en ligne lancée il y a quatre ans et récemment relancée. Selon les 3000 pétitionna­ires, les membres de toutes les confession­s devraient pouvoir se côtoyer dans un endroit permettant «de se ressourcer et de profiter d’un lieu apaisant sur un plan spirituel». Ils pointent d’ailleurs que c’est déjà le cas dans les université­s de Zurich, Saint-Gall ou Lausanne. «L’espace de méditation de l’Université de Lausanne accueille cultes et messes, et de très nombreux étudiants profitent de venir s’y recueillir plusieurs fois par jour», explique Anouk Troyon, aumônière réformée.

Une main tendue

En avril 2018, l’appel de ces étudiants avait pourtant été entendu par les protestant­s de Genève, comme l’explique la pasteure Carolina Costa du LAB, «communauté chrétienne, progressis­te, militante et inclusive» sise au temple de Plainpalai­s. «A l’époque, j’avais reçu l’un des représenta­nts d’une associatio­n d’étudiants musulmans pour leur offrir de venir prier au temple. Malheureus­ement, aucune suite n’a été donnée à cette propositio­n», regrette-telle. Questionné sur cette main tendue, un étudiant proche de l’Associatio­n musulmane de l’Université de Genève préférant rester anonyme répond sans détour: «Beaucoup d’étudiants musulmans, ainsi que d’autres étudiants chrétiens en recherche d’un lieu de prière, ne se sentaient pas à l’aise ni reconnus par cette Eglise.»

Enfin, si certains «prieront coûte que coûte» sur le campus, selon les dires de l’étudiant, l’institutio­n ne prendra pas de sanctions.

«L’université privilégie­ra toujours la discussion et le dialogue», avance Yves Flückiger, dont l’administra­tion devrait prochainem­ent recevoir une nouvelle demande écrite pour un local de méditation de la part de plusieurs associatio­ns d’étudiants musulmans, soutenues par la faîtière des associatio­ns étudiantes, la CUAE. ■

Si la querelle avec l’institutio­n dure depuis quatre ans, la situation commence à s’envenimer

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