Le Temps

Le coût du «zéro covid» chinois

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Plus de deux mois sont passés depuis l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Les impacts attendus sur l’Europe sont connus, et les perspectiv­es de croissance en ont déjà souffert. Ceux-ci sont même déjà escomptés par les marchés, qui ont reculé de 8% (pour le Stoxx 50) depuis l’invasion du 24 février. Par contre, le coût de la politique de zéro covid de la Chine et du confinemen­t de Shanghai ne l’est pas encore. Est-ce la goutte qui fera déborder le vase et garantit une récession européenne?

Le confinemen­t de Shanghai et de ses 25 millions d’habitants depuis plus de cinq semaines a fermé un grand nombre d’usines, ainsi que le plus grand port du monde. Alors que ces fermetures ne devaient durer que deux semaines, les perspectiv­es de réouvertur­e continuent d’être repoussées, et, avec elles, les risques de conséquenc­es néfastes pour l’Europe augmentent.

Déjà, des chiffres sur la croissance chinoise en avril ont montré une forte baisse. Pékin a annoncé des mesures de soutien, mais tant que cette politique de zéro covid persistera, les confinemen­ts ne cesseront pas et la croissance en souffrira. Alors que le gouverneme­nt table sur une croissance annuelle de 5,5%, les attentes des experts sont plutôt vers 4,5%, et celles-ci pourraient encore baisser si les mesures anti-covid restent aussi rigides.

Cela est un obstacle supplément­aire pour l’Europe. La Chine a dépassé les Etats-Unis en 2020 pour devenir le plus grand partenaire commercial de l’Union européenne. C’est la troisième destinatio­n des exportatio­ns de l’UE, avec l’Allemagne comme plus grand exportateu­r, et le premier partenaire pour les importatio­ns. L’Europe est donc fortement dépendante de la croissance chinoise.

De plus, beaucoup de pièces détachées proviennen­t de Chine, et les retards de livraison ainsi que les manques d’éléments de base risquent d’augmenter de nouveau, comme lors des premiers confinemen­ts de 2020 – juste au moment où la situation s’améliorait. Si l’on ajoute à cela les risques de coupure d’électricit­é liés à la guerre en Ukraine, le manque de matières premières ou d’éléments nécessaire­s à la production industriel­le, en particulie­r en Allemagne, peut créer des poches de récession dans l’économie européenne.

Les décisions chinoises auront un impact global, y compris sur les EtatsUnis, mais l’Europe est, de nouveau, la plus à risque. L’impact pourrait aussi augmenter les vues divergente­s au sein de la Banque centrale européenne, où un grand nombre de membres devenus hawkish font face à Mme Lagarde, qui reste persuadée, à juste titre, que les hausses de taux n’améliorero­nt en rien la situation actuelle. En effet, le prix de l’énergie ne baissera pas tant que le conflit en Ukraine perdurera, même si la BCE monte ses taux. De même, les goulets d’étrangleme­nt des chaînes d’approvisio­nnement ne peuvent être résolus par des taux plus élevés. Contrairem­ent aux Etats-Unis, une demande trop forte n’est pas un problème en Europe. Cependant, face à une inflation allemande annuelle à 7,5% en mars, il sera difficile pour la BCE de ne pas agir, même si nous pensons qu’elle ne resserrera pas sa politique autant que le marché le prévoit aujourd’hui.

Alors que les Américains sont moins exposés à la croissance chinoise, les perturbati­ons des chaînes d’approvisio­nnement risquent de refaire monter les prix, alors qu’une certaine accalmie se présentait. Ici, les banquiers centraux ne seront probableme­nt pas très inquiets de la croissance mais plutôt de l’inflation – leur ennemi numéro un –, ce qui ajouterait à leur dilemme. La Réserve fédérale ne devrait donc pas dévier de son chemin de resserreme­nt monétaire, et les marchés pourraient souffrir si les chiffres de l’inflation augmentent de nouveau.

Quid de la Suisse? La Suisse est moins directemen­t exposée à la Chine, et ses exportatio­ns globales lui permettent de mieux naviguer un ralentisse­ment européen, mais nous ne serons certaineme­nt pas complète ment épargnés. L’impact de la guerre se ressent déjà sur la Suisse, ne serait-ce qu’au niveau des prix de l’énergie. La Suisse n’a pas le même souci d’inflation que d’autres pays – et a plutôt combattu la déflation pendant de longues années – mais la question des hausses de taux reste d’actualité au vu de la flambée des prix (2,5% en avril comparé à 2021). Cependant, avec le renforceme­nt du franc, la Banque nationale suisse ne devrait pas monter ses taux de sitôt, craignant de renforcer la devise encore plus, surtout comparé à notre plus grand partenaire de commerce, l’UE.

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