L’étrange histoire de la cocaïne de Romont
Le séquestre d’une demi-tonne de poudre blanche dans une usine de Nespresso met en lumière un trafic de cocaïne très pure, en forte hausse en Suisse et dans les pays voisins. Europol s’est inquiétée vendredi de la présence de nombreux laboratoires
En Suisse romande, c’est l’histoire de la semaine, et elle a fait beaucoup de bruit ailleurs dans le monde. Une demi-tonne de cocaïne a été retrouvée dans cinq conteneurs de café fraîchement livrés dans une usine de Nespresso à Romont, dans le canton de Fribourg, de quoi satisfaire la consommation annuelle du canton de Vaud. La poudre blanche, d’un degré de pureté de 80%, aurait une valeur supérieure à 50 millions de francs, selon le Ministère public fribourgeois, qui a ouvert une enquête. Les employés de Nespresso disent avoir immédiatement informé la police cantonale, lundi soir.
Une vingtaine de collaborateurs de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) ont été mobilisés sur place après 21 heures, selon un communiqué des autorités fribourgeoises. Tout indique à ce stade que les caisses métalliques chargées de sacs de café et de cocaïne sont venues en bateau du Brésil, qu’elles auraient transité par le port belge d’Anvers, puis en train à Bâle et que la drogue était destinée au marché européen, et non celui de Romont. Les paquets étaient cachés au milieu des sacs de café, dont la forte odeur aurait pu tromper la vigilance des chiens des douaniers.
Un arrêt raté en chemin?
Il s’agirait d’une erreur d’aiguillage, à moins que les trafiquants ne soient pas parvenus à intercepter la livraison à temps, estimerait la police. «La ligne de train se termine à Romont, et il se peut que la marchandise n’était pas destinée à arriver jusque-là mais aurait dû être déchargée avant», avance ainsi Bernard Vonlanthen, porte-parole de la police fribourgeoise, dans les colonnes de La Liberté.
Dans un entretien accordé au
Blick, une journaliste spécialiste de la mafia, Madeleine Rossi, évoque elle aussi erreur de déchargement. «La ’Ndrangheta a la mainmise sur le trafic de drogue en tout cas à l’échelle européenne, et peut-être mondiale», dit-elle. Un avis que conteste Thierry Gaytán, un expert sur la question cité dans
La Liberté, qui estime que les trafiquants sont bien organisés et que Romont, une ville dans un pays où les prix peuvent être plus élevés, est «une destination idéale pour la couverture de ce genre de trafic».
L’agence Bloomberg a relevé que la cargaison de café est «arrivée avec un peu plus de punch que de caféine». Mais il n’en est rien: les lots ont été isolés et la substance n’est entrée en contact avec aucun autre produit. Le café reste bon, a voulu rassurer la filiale de Nestlé.
Il s’agirait de la deuxième plus grande saisie de cocaïne en Suisse de la décennie, après un cas record à l’aéroport de Bâle-Mulhouse le 16 mai 2019. Ce jour-là, les autorités ont séquestré 603 kg de poudre blanche pure à 90% dans 21 valises différentes dans un jet privé qui venait d’Uruguay après avoir transité par Nice.
D’autres saisies spectaculaires ont été recensées ces dernières années, dont 191 kg à Birsfelden (BL) en 2015, 144 kg à Zurich en 2007, 140 kg dans des filiales de magasins Coop en Suisse alémanique et au Tessin.
En 2021, Romont a déjà été au coeur d’un démantèlement de trafic de drogues, suite à la saisie par la police fribourgeoise de 35 kilos de cocaïne, de marijuana, de haschich et de MDMA. Il n’existe cependant aucun indice selon lesquels le chef-lieu de la Glâne puisse être une plaque tournante des narcotrafiquants, selon la police.
Santos, un port de sortie bien connu
Le port brésilien de Santos est régulièrement cité dans de telles affaires, lui qui sert souvent de porte de sortie pour la cocaïne de Colombie, du Pérou ou de Bolivie. En février, 450 kg de cocaïne exportée de Santos avaient d’ailleurs été séquestrés dans le port de Gênes, sur un navire de l’armateur genevois MSC. Les routes de la drogue vers l’Europe, mises en évidence par la NZZ, sont nombreuses, par le biais du Mexique, de pays africains et directement vers les grands ports, de Rotterdam à Marseille. L’immense majorité de la cocaïne transite par la mer, selon l’International Chamber of Shipping, la faîtière des transporteurs maritimes.
L’affaire de Romont est tombée quelques jours avant la publication, vendredi, de deux rapports, à Bruxelles, de l’agence européenne de police criminelle Europol et de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) sur les marchés de la cocaïne et de la méthamphétamine dans le continent. Les deux sont en croissance, mais celui de la poudre blanche est beaucoup plus vaste.
Deuxième drogue la plus consommée dans l’UE après le cannabis, la cocaïne est «en expansion, sous l’effet de niveaux de trafic sans précédent qui se traduisent par une disponibilité historiquement élevée», soulignent leurs auteurs. En 2020, il pesait 10,5 milliards d’euros. Pour la quatrième année consécutive, des quantités record de cocaïne (214,6 tonnes) ont été saisies en Europe cette année-là, surtout en Belgique (70 tonnes), aux Pays-Bas (49 tonnes) et en Espagne (38 tonnes).
La production de cocaïne est en forte hausse, surtout en Colombie, et, fait nouveau, sa transformation se fait toujours plus en Europe, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en Espagne. Des données récentes montrent que d’importantes quantités de chlorhydrate de cocaïne ont été produites en Europe à partir de produits intermédiaires, tels que la pâte de coca et la cocaïne base. Une cinquantaine de laboratoires ont été dénichés au nord de l’Europe, avec la présence de chimistes sud-américains, selon l’EMCDDA.
«Malgré les importantes saisies que nous faisons, nous constatons que le degré de pureté de la cocaïne, très élevé ces dernières années, ne diminue pas», a indiqué Catherine De Bolle, la directrice d’Europol durant une conférence de presse vendredi. «Ça laisse entendre que nos actions ont peu de conséquences sur ces trafics hautement lucratifs.»
En 2017, Zurich et Genève se sont placées en deuxième et cinquième positions dans une enquête portant sur 60 villes européennes classées en fonction des traces résiduelles de cocaïne dans leurs eaux usées.
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Il s’agirait de la deuxième plus grande saisie de cocaïne de la décennie en Suisse